L’Homme qui voyait à travers les visages d’Éric-Emmanuel Schmitt

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auteur : Éric-Emmanuel Schmitt
édition : Albin Michel
sortie : septembre 2016
genre : roman

On sait Éric-Emmanuel Schmitt dans une phase mystique. Après La Nuit de feu, dans lequel il racontait sa rencontre avec Dieu alors qu’il s’était perdu en plein désert, il aborde de nouveau la question métaphysique avec L’Homme qui voyait à travers les visages mais le fait cette fois-ci par le biais d’une certaine forme de farce satirique, ou à tout le moins de roman à clés sur les religions et les extrémismes.

Il prend ici le pont de vue d’Augustin Trolliet, le jeune stagiaire d’un quotidien de Charleroi, qui a le don de voir les morts qui hantent les vivants. Après avoir été le témoin d’un attentat-suicide à la sortie d’une église, Augustin s’interroge sur la responsabilité de Dieu dans l’expression de la violence des hommes, en compagnie de la juge d’instruction Poitrenaud, laquelle lui demande d’enquêter sur le sujet. Avec l’aide de l’écrivain Éric-Emmanuel Schmitt, qui lui procure des substances psychotropes pour rentrer en contact avec Dieu, il entreprend d’interviewer le Créateur lui-même.

Si l’entrée dans le roman fait peur, par le fait qu’il charrie des thèmes aussi brûlants que l’extrémisme et le terrorisme, celui-ci prend assez vite ses distances avec un esprit de sérieux paralysant et un enracinement trop profond dans le réel, qui rendrait le traitement de ces sujets totalement indigeste. Certes, le livre parle du rapport à Dieu et à la religion, mais use d’astuces narratives qui lui permettent de le faire sans emphase.

Le choix qu’a fait Schmitt de s’inclure dans le récit comme personnage de fiction donne un effet de distanciation bienvenu, soulevant parfois l’interrogation sur ce qui est vrai et ce qui est faux dans sa manière de se décrire lui-même. On peut déceler une certaine ironie, un second degré, dans les postures, les inflexions et les emportements de son double fictionnel, mais il y a aussi de temps à autre une certaine complaisance à se donner le beau rôle, à entretenir sa propre légende, qui peut finir par agacer. Par exemple, quand Augustin Trolliet, personnage clairvoyant, rencontre Éric-Emmanuel Schmitt pour la première fois, il le voit entouré de « ses » morts, ceux qui le hantent dans la vie de tous les jours. Il s’agit ni plus ni moins des grands auteurs, artistes et penseurs de ce monde, toute époques confondues – Mozart, Diderot, Colette, Molière, Bach, Pascal,… pour n’en citer qu’un florilège. Difficile de voir là autre chose qu’un manque flagrant de modestie.

Mais il faut néanmoins faire la part des choses et savoir séparer l’auteur – peut être légèrement imbu de sa personne – de son œuvre. Et si cet Homme qui voyait à travers les visages n’est assurément pas le plus facile d’accès des romans de Schmitt, ni le plus lisse, il réserve quelques morceaux de bravoure, notamment un final épistolaire surprenant, riche en « twists » et autres révélations. Le lecteur assidu sera donc récompensé d’avoir passé outre quelques petits défauts et appréciera une conclusion qui remettra en perspective toute sa lecture.