L’empire des roses – Chefs-d’oeuvre de l’art persan du XIXe siècle, au Louvre-Lens du 28 mars au 23 juillet 2018

Nouvelle exposition du Louvre-Lens, L’empire des roses – Chefs d’oeuvre de l’art persan du XIXe siècle met à l’honneur l’art de la dynastie Qajar dans un décor scénographié par l’ancien grand couturier Christian Lacroix. Cest une curiosité qui se tient depuis le 28 mars et ce jusqu’au 23 juillet 2018 dans ce musée satellite dont la principale vocation est de permettre à l’art, connu ou méconnu, d’être à la portée de tous. Et pour cette exposition des premières fois, l’Iran à même prêté quelques uns de ses trésors nationaux enfermés dans les réserves haute-sécurité du palais du Golestan.

L’empire des roses est une exposition qui invite au voyage et exacerbe notre curiosité. En effet, l’art Qajar du XIXe siècle est, pour ne pas dire inconnu, largement méconnu et c’était un pari un peu fou que ce sont lancé les conservateurs du Louvre-Lens dont c’est aussi la première collaboration avec le département des Arts de l’Islam du musée du Louvre. Pourtant la dynastie Qajar, règnant sur l’Iran durant le XIXe siècle, a permis à ce pays de s’ouvrir à l’Occident et à la modernité. Il a produit un art auquel on apporte peu d’importance mais qui révèle des techniques virtuoses dans les arts populaires, la musique et l’art leurs souverains étant très ouverts aux évolutions techniques et technologiques. Cet art fut un peu effacé par la dynastie suivante et cette rétrospective, la première du genre, fait un peu office de réhabilitation de cette période historique. Ils se sont ainsi rendu compte que la France et l’Iran dialoguent depuis longtemps. C’est ainsi qu’en même temps se tient de manière croisée une exposition du musée du Louvre à Téhéran preuve que si les deux cultures se confrontent parfois, elles s’enrichissent toujours énormément.

Pour la scénographie, le Louvre-Lens s’est adjoint un allié de choix en la personne du célèbre couturier Christian Lacroix, véritable expert en ce domaine ce que l’on sait beaucoup moins. C’est lui qui, en collaboration avec Gwenaëlle Fellinger commissaire de l’exposition, a mis en musique, en espace et surtout en couleur, la salle du Louvre-Lens qui sert d’écrin aux objets de cette période historique. Christian Lacroix a été fasciné par l’art de l’ornementationn qu’il découvrit dans un livre dès son plus jeune âge. Plus tard, il fut surtout sensible au foisonnement des bijoux et des tissus. Pour la scénographie, il nous explique qu’au départ ces idées dépassaient largement le budget alloué ce qui l’a obligé à penser autrement. Les oeuvres, si elles se suffisent à elles-mêmes, pouvaient néanmoins supporter un fond coloré. L’exposition est présentée comme un palais, une ville dans la ville avec une circulation en forme de rues matérialisée par une moquette imprimée des décors architecturaux de l’époque Qajar. L’entrée de l’exposition de couleur bleu-paon est formée de trois arcades qui signe le passage pour un voyage d’un autre temps.

Les salles de la première partie de l’exposition sont colorées en plusieurs nuances de bleu. Elle s’ouvre sur un costume de Christian Lacroix réalisé pour le ballet Shéhérazade. Cette introduction annonce les 4 grandes parties qui emmènent le visiteur en Iran sur les traces de deux voyageurs européens Pascal Coste qui partit vers 1840 et Jules Laurens qui fit le voyage en 1846. Dans cette salle, leurs dessins sont confrontés offrant d’un côté une vision scientifique, Pascal Coste sera en effet le premier à produire une somme de documents liés à l’architecture persanne et donc un début d’étude scientifique sur l’Iran, et un regard plus onirique, celui d’un artiste-peintre.

Les Ruines du palais d’Arshaf, Jules Laurens, France (1848-1894), Huile sur toile, Carpentras, bibliothèque-musée, Inguimbertine

Après avoir traversé une des rues qui forme la structure interne de l’exposition nous arrivons à la deuxième section dont la couleur dominante est le rouge. Ici, on nous donne des clés de compréhension en nous présentant tout d’abord les souverains de la dynastie Qajar dont le premier souverain était Aqa Muhammad Shah. Comme il était eunuque – ce qui n’était pas très pratique pour fondé une dynastie on en conviendra – et que le pouvoir se transmettait au plus fort, il désigne un successeur très tôt en la personne de son neveu Fath Ali Shah qui fut le premier souverain important mais le deuxième représentant de cette dynastie. 

Couronne d’Aqa Muhammad Shah, Iran, vers 1788, alliage de cuivre, décor d’émail peint, Téhéran, palais du Golestan

Fath Ali Shah prend le pouvoir à la mort de son oncle et comprends très vite que l’image peut avoir un rôle puissant dans l’affirmation du pouvoir. Il véhiculera de fait beaucoup de fastuosité, de force et de richesse comme en témoigne son portrait en trône offert à Napoléon Ier en 1807. La salle contient également les portraits de tous ses successeurs. Après son petit fils, la loi du plus fort n’aura plus cours, la succession sera établie en fonction de la primogéniture mâle.

Portrait de Fath Ali Shah (1797-1834), attribué à Mihr Ali, Iran, Téhéran, vers 1805, huile sur toile, Paris, Musée du Louvre

La dynastie des Qajar ammène l’Iran à s’ouvrir à l’Europe. Ces liens sont mis en valeur grâce à quelques épisodes symboliques comme la rencontre de Fath Ali Shah avec Napoléon Ier. Pris en tenaille entre la Russie d’un côté et les anglais qui terminent la conquête de l’Inde de l’autre, Fath Ali Shah rencontre l’empereur dans le but de signer un traité avec lui et de s’en faire un allié. Traité qui se révèlera caduque puisque ce rusé de Napoléon signera un traité avec la Russie l’année suivante…

Napoléon Ier recevant l’ambassadeur de Perse au château Finkenstein, 27 avril 1807, François Henri Mulard, 1810, huile sur toile, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et du Trianon

Cependant, les liens entre les deux pays se poursuivent durant la deuxième moitié du XIXe siècle. Si Fath Ali Shah est le premier roi qui sort d’Iran en temps de paix, son successeur poursuivra cette tradition. Ainsi Nasir al-Din Shah fera 3 voyages en Europe respectivement en 1873, 1878 et 1889 et rencontrera de noubreux souverains comme le roi Léopold II ou encore la reine Victoria. Dans cette salle, outre les photographies ou autres dessins représentant ces événements, on nous présente également différents cadeaux diplomatiques telle que cette magnifique tiare, à la base un diadème commandé en Iran par un imam cherchant à s’attirer la faveur des anglais. La reine Victoria le fera transformer en tiare parce qu’elle préférait les petites couronnes à chignon.

Tiare offerte à la reine Victoria, Iran, avant 1838, diamants, rubis, perles, or, décor d’émail peint, Windsor, The Royal Collection Trust

L’art de la dynastie Qajar est essentiellement un art de copie. Les artistes recopient de grandes peintures rupestres, des reliefs achéménides sur le modèle de Persépolis ou encore reprennent le style safavide dans les décors de fenêtres en céramique. Ce sont toutes des copies volontaires et ils ne copient pas à l’identique, ils rajoutent toujours un élément ou en transforment d’autres. La copie est élevée au rang d’art car un grand peintre est aussi un grand copiste : c’est en copiant les oeuvres des autres qu’il commence son apprentissage.

On survole également les deux grands courants religieux qui ont cours à cette époque : le chiisme et le mysticisme. Le chiisme, une des trois branches de l’Islam avec le sunnisme et le kharidjisme, est très présent et se retrouve dans la littérature. Même les membres de la famille royale s’y essaient en copiant le Coran. Le mysticisme, quant à lui, était un courant de pensée très important, un outil de soutien ou d’opposition au pouvoir. Leurs plus grands représentants sont les derviches qui finissent par devenir des thématiques utilisées dans l’art jusqu’à devenir des clichés qui ornent les objets dont les derviches ne font même pas usage.

Enfin, une vitrine nous présente des sculptures animalières finement réalisées qui étaient à l’origine posés sur un étendard (appelés ‘alams) et avaient des vertus symboliques. C’est pour les processions du mois de muharram que ces étendards dévotionnels étaient utilisés. Celles-ci servaient à commémorer l’assassinat de Husayn, le petit-fils du prophète, à Karbala et avaient lieu durant le premier mois de l’année. Ces animaux avaient une fonction symbolique et représentaient soit des imams soit des personnages qui leur étaient liés. C’est de cette façon que le cerf se référait à l’imam Riza, le paon au Mahdi et que Ali était représenté sous la forme du lion de Dieu.

Etendard de procession (‘alam), Iran, Téhéran, vers 1900-1920, fer, acier, argent, gravure à l’acide, Paris, musée du Quai Branly

La troisième partie, à tendance verte, se concentre sur la fabrique de l’image impériale. Aqa Muhammad Shah, le fondateur de la dynastie était eunuque. Il demanda à son successeur Fath Ali Shah de véhiculer une image extrêmement forte et brillante. Celui-ci commanda un portrait dont l’image était volontairement codifiée pour montrer la force et la masculinité de la dynastie. Il fera d’ailleurs honneur à sa promesse en laissant à sa mort plus d’une centaine d’enfants vivants… A partir de ce souverain, les héritiers de cette dynastie seront tous représentés avec une barbe très longue, une couronne sertie de nombreux bijoux ainsi que des brassarts portant 2 énormes diamants qui sont des regalia, c’est-à-dire des insignes du pouvoir. Ce sont des trésors nationaux d’une valeur inestimable, ils ne sortent donc pas d’Iran. L’un de ces diamants est toujours conservé au palais du Golestan et reste à ce jour le plus gros diamant rose du monde provenant probablement des richesses qu’ils avaient volé à la dynastie moghole qui les avait précédé. Avec l’avènement de la photographie, qui comme on le sait aura une infuence majeure dans la peinture, la pose des souverains quajar se fera plus naturelle. La galerie de portrait de dignitaires montre l’émergence du portrait privé au milieu du XIXe siècle grâce au peintre de cour de Nasir al-Din Shah.

Portrait de Fath Ali Shah agenouillé, signé Mirza Baba Shirazi, Iran (1798-1799), huile sur toile, Londres, The British Library

Après avoir passé la salle consacrée à l’architecture et une autre aux us et coutumes de la cour, on se retrouve devant une grande vitrine qui nous présente l’évolution du costume iranien. En coton pour l’été et en cachemire pour l’hiver (et pour les plus fortunés) les costumes féminins d’intérieur se composent en général d’une jupe longue et d’une blouse à manche longue. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, les jupes raccourcissent d’un coup, précédant la mini-jupe parce qu’un shah ayant vu un ballet lors d’un voyage en Europe avait voulu en reproduire le costume. Le costume pour l’extérieur consiste en un chaddor bleu marine ou noir surmonté d’un voile de tête blanc. Dans le costume masculin qui se compose essentiellement d’une longue tunique on retrouve aussi des tissus imprimés qui sont parfois importés de Grande-Bretagne.

La musique est également évoquée dans cette dernière salle. Celle-ci occupe une place très importante parce que comme la musique qui avait cours durant la période précédente a presque totalement disparu, c’est la musique qajare qui est considérée comme la musique classique iranienne. Elle nous enveloppe pendant que nous observons toutes sortes d’instruments finements ouvragés et même certains complètement inconnus comme cette vièle quadruple dont chaque caisse de résonnance produit une suite d’accords différents.

La quatrième et dernière partie est consacrée à la production artistique de la dynastie qajar. On l’a déjà souligné plus haut, l’art qajar élève la copie au rang d’art. L’art de la série nous offre ainsi des oeuvres similaires mais jamais identiques. Nous pouvons admirer le dernier grand manuscrit enluminé qui fut commandé par Nasir al-Din Shah et qui regroupe les contes des Mille et une nuits en 6 volumes finement enluminés et très colorés qu’il nous est possible de feuilleter de façon numérique. Les dessins et thèmes que l’on retrouve dans l’architecture proviennent autant de la tradition européenne qu’ils sont mêlés d’influences diverses. Les épisodes littéraires sont souvent illustrés de motifs tels que la rose, un thème extrêmement important dont l’émergence, vers la fin du XVIIe siècle, est fortement liée à l’apport des herbiers. Des motifs européens comme les Vierge à l’enfant sont aussi introduits dans l’art mais en ayant perdu toute leur signification religieuse pour ne devenir que des motifs figuratifs.

Reliure à décor de rose et de rossignol, Iran, fin du XVIIe ou début du XVIIIe siècle, papier mâché, décor peint et verni (laque), Paris, musée du Louvre, département des Arts de l’Islam

La dernière salle porte notre regard sur l’introduction de la modernité en Iran. Elle s’illustre notamment par l’utilisation de la lithographie, parce que sur la pierre on peut dessiner et ensuite imprimer l’image comme si elle avait été directement exécutée sur un manuscrit ce que ne permet pas l’imprimerie. Nasir al-Din Shah par exemple, aimait beaucoup la photographie et commanda éormément de photos de son royaume dans un but scientifique. La photographie sera aussi très vite assimilée à une technique artistique à part entière en Iran ce qui n’était pas le cas en Europe.

Après cette visite haute en couleur nous ressortons de cette exposition comme envoûtés et désirant franchement en savoir plus sur l’art de cette dynastie mais aussi sur l’art persan en général. C’est à la fin d’un parcours que l’on constate que la magie a opéré ou non : si l’on en ressort avec la curiosité aiguisée et des étoiles plein les yeux, c’est que le pari et réussi. Et il l’est à n’en pas douter. Si vous passez par Lens, ne rater pas cette occasion de faire une rencontre privilégiée avec un domaine de l’histoire trop peu mis en valeur, celui de la fastueuse dynastie Qajar.

A propos Daphné Troniseck 254 Articles
Journaliste du Suricate Magazine