L’Embrasement au Rideau de Bruxelles

 Crédit photo : © Hélène Tobler

Texte de Loredana Bianconi et mise en scène de Anne Bisang avec Marika Dreistadt et Prune Beuchat

Du 15 octobre au 19 octobre 2014 à 20h30 (le dimanche à 15h30) au Rideau de Bruxelles

Difficile de livrer un résumé de cette pièce tant elle s’emploie, à partir de son sujet, d’en explorer les implications, à moduler les situations, à représenter le morcellement de l’engagement. De la mise en abyme théâtrale du début au final tragique en passant par le happening politico-musical, L’Embrasement s’emploie, avec un texte exigeant couplé à mise en scène dynamique (que l’on doit à Anne Bisang), à ne pas faire dans la reconstitution pédagogico-historique.

Œuvre détournée de son matériau originel (un documentaire, Do you remember revolution, 1997), l’Embrasement nous met en présence de deux femmes dont on ne saura rien sinon qu’elles furent, dans l’Italie des années 70, engagé dans les Brigades Rouges. Révolutionnaires, jusqu’au-boutiste, terroristes,… Période trouble Loin de nous mettre en présence de figures subjectives face auxquelles nous positionnons, nous nous identifions, la pièce nous envoie à la tronche deux corps réceptacles, synthèse de ces femmes que Loredana Bianconi a rencontrées longuement en prison. Porte-paroles de l’engagement, de la passion de l’égalité jusqu’à l’aveuglement obsessionnel où l’hubris, cette démesure, met à terre toute phronésis, cette rationalité prudentielle qui nous empêche de faire le pas de trop. Se croyant libre, car luttant contre le pouvoir, elles ne rendent pas compte qu’un autre carcan les enferme. La lutte, fut-elle anarchiste, fut-elle armée, est un espace codifié, réglementé, qui ne tolère aucun faut pas. Une bulle dont la pièce rend bien compte : les extatiques moments d’éprise libertaire se fracasse rapidement sur le mur du doute, du questionnement existentiel.

Et c’est dans ces moments d’intimité que l’on aurait voulu voir un peu plus de chaleur. Quelques fois prisonnières d’un texte virtuose, mais froid, mécanique, alignant les punchlines, nos deux actrices – dont on ne peut reprocher complicité et implication- nous laissent parfois un peu sur le côté. Et c’est peut-être l’ultime paradoxe de ce texte dont la mise en scène s’efforce, par une mise en son et lumière impeccable, de rendre son humanité. Paradoxe, car le choix de l’auteur de ne pas juger, et n’épousant donc pas un regard moral – choix éminemment respectable- nous éloigne du même coup de l’aventure affective et collective de l’insurrection. Ces corps déguisés pour se fondre dans la masse, ces corps qui tiennent ces armes qui tueront les ennemis de la liberté, ces corps de résistances ne peuvent – en l’état- nous faire totalement figurer des humiliations, des indignations, des endoctrinements aussi, qui les ont conduits à ces extrémités.

Cette pièce, réussie, fait cohabiter un texte cérébral avec une mise en scène qui, loin de nous distraire, tente de nous impliquer émotionnellement. Déceptif et roboratif à la fois.

A propos Julien Chanet 20 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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