Le monde du Grand B.A.L. est bel et bien une catastrophe…

auteur : Gilles Clément
édition : Actes Sud
sortie : mai 2018
genre : roman

Catastrophe internationale : Zéphirine, la musaraigne étrusque, le plus petit mammifère au monde et dernier survivant des espèces naturelles à la suite de la Guerre des nuages, a disparu. Où est passé ce minuscule rongeur, dont la survie est censée être assurée par le laboratoire international Adidou-Koréa, à la tête du grand B.A.L., le consortium banques-assurances-laboratoires en charge des recherches scientifiques sur le patrimoine biologique mondial. Depuis la quatrième guerre mondiale causée par le conflit du Ramadan furieux, cette gouvernance financière détient le pouvoir et manipule les espèces animales et végétales.

Comment ce laboratoire tout-puissant a-t-il pu perdre la trace de cet animal indicateur des équilibres vitaux ? C’est ce que vont essayer de découvrir les envoyés très spéciaux de la rédaction du JDL (Journal du Lundi) de Massilia, dirigé par Robert-dit-d’Yeu, une pointure du monde médiatique. L’enquête est menée de front par Gaby, un photographe en fauteuil roulant – et parfois volant – ainsi que sa compagne Géolie, gréviste et membre des Femen. S’ajoutent à ce binôme de terrain l’artiste Llibida Pinto, le fils de Dyeu, Djizeuss, DJ punk spachepo – sans papier, sans chéquier, sans portable – et Devill-Cross, ex-star du football, qui aspire à l’anonymat et se découvre des aspirations écologiques. Vous l’aurez compris, l’histoire de Zéphirine est liée à la guerre, à un nouveau monde que Gilles Clément dénonce avec beaucoup d’ingéniosité et d’humour. Mais il faut s’accrocher pour comprendre cet univers complètement décalé, très riche en détails loufoques et décrit avec un vocabulaire fantaisiste, voire complètement « perché » !

Une impression de fin du monde

Ingénieur agronome, botaniste, paysagiste et écrivain écologiste, Gilles Clément dénonce un monde proche du nôtre, où un tiers de la population mondiale a été exterminée durant la Guerre des nuages. Cette quatrième guerre mondiale naît de manière incontrôlée, à la suite d’expériences par les exploitants agricoles et industriels afin de maîtriser le climat. Des pluies létales sont tombées sur certains continents, exterminant un milliard d’êtres humains. Les ripostes des pays atteints tuent à leur tour un milliard de personnes, avant qu’un autre milliard soit anéanti par les émanations toxiques et la putréfaction des corps. Le Ministère de la Sélection Darwinienne, qui vise à limiter la population mondiale, s’en réjouit.

Mais la guerre a aussi fait disparaître 88% des espèces animales sur la planète, si bien qu’il n’existe plus aucun animal en liberté. Les animaux survivants ont été rassemblés dans des réserves animalières protégées, aux côtés de leurs semblables clonés. Seule la musaraigne Zéphirine survit sans assistance en milieu naturel, sous le contrôle cependant du laboratoire Adidou-Koréa.

Des personnages cocasses

Dans cette chorégraphie déjantée, chaque détail est disséqué, chaque personnage a un nom à double sens et si le tout paraît parfois complètement dingue, rien n’est là par hasard. Le grand rédacteur en chef s’appelle Dyeu, son fils Djizeuss, le photographe paraplégique, Gabriel Privédel et le chirurgien de la clinique Kit-Body-Market, le docteur Placébeau. Les noms de lieux sont tout aussi savoureux, avec par exemple, Notre-Dame-des-Lendemains ou l’Université bleue de Pipe-à-chien.

Mais d’où Gilles Clément tire-t-il cette imagination ? A-t-il pris des substances hallucinogènes durant l’écriture de ce roman ? En tous cas, en tant que lecteur, il vaut peut-être mieux en prendre afin de garder le cap !

Un roman engagé

L’écrivain et homme de science qui se dit souvent jardinier fait état d’un scénario catastrophe, où les espèces animales et végétales n’ont plus aucune autonomie et sont totalement dépendantes des humains, ceux-ci pensant pouvoir tout maîtriser. Le numéro un du laboratoire, Li-Zimov, s’en félicite :

“La nature, ou du moins ce que les anciens avaient coutume de nommer ainsi, se trouve désormais entre nos mains.”

Il s’agit ici d’organismes génétiquement modifiés, d’une biodiversité parallèle, expérimentale, au cœur même d’un laboratoire. L’auteur dénonce de cette façon les OGM mais aussi le brevetage du vivant. Lors d’une interview, Gilles Clément se disait très pessimiste pour l’avenir de la planète sur le court terme : « Je suis beaucoup plus optimiste sur un temps plus long, mais malheureusement, avec le constat d’une obligation de catastrophe. On ne changera que s’il y a quelque chose qui nous touche de façon tellement profonde qu’on dira stop. » Et bien, nous voilà prévenus. On peut dire que le monde du Grand B.A.L. est bel et bien une catastrophe, qui sous des dehors de folie joyeuse, est une mise en garde d’un futur duquel notre société n’est pas à l’abri.

A propos Déborah Neusy 27 Articles
Journaliste du Suricate Magazine