Le Jeune Ahmed, problématiques et redondances du modèle dardennien

©Christine Plenus

Le Jeune Ahmed
de Luc et Jean-Pierre Dardenne
Drame
Avec Idir Ben Addi, Olivier Bonnaud, Myriem Akheddiou, Victoria Bluck, Claire Bodson
Sorti le 22 mai 2019

Influencé par les paroles d’un imam, le jeune Ahmed, 13 ans, se radicalise de plus en plus dans sa foi et dans la pratique de sa religion, ce qui inquiète fortement sa famille et ses enseignants. Nourrissant une haine grandissante envers l’une de ses professeurs, il tente de la tuer, ce qui le conduit dans un centre de redressement pour jeunes.

Forcément, avec une prémisse comme celle-ci, le nouveau film de Luc et Jean-Pierre Dardenne incitait à la fois à la curiosité et à la méfiance, dans la mesure où l’on se demande toujours quel point de vue un auteur va apporter sur un tel sujet. D’autant plus que, récemment, d’autres n’ont pas échappé à une certaine ambiguïté en s’y frottant, à l’image d’André Téchiné avec le récent L’Adieu à la nuit. Nous revenait aussi en mémoire un texte signé Luc Dardenne en 2016 – suite aux attentats de Bruxelles – et publié notamment dans Les Inrocks, dans lequel le cinéaste semblait blâmer avant tout la religion comme cause principale de la radicalisation. Même s’il tentait par les arguments développés d’éviter les amalgames, ce texte jetait indirectement et maladroitement l’opprobre sur la population musulmane de Belgique. Luc Dardenne en profitait également pour relater les difficultés rencontrées avec son frère, en tant que producteurs, pour rassembler de l’argent en vue d’un projet de film sur la radicalisation, à savoir le Fatwa de Mahmoud Ben Mahmoud. Maintenant que le film de Ben Mahmoud a été monté et montré, on peut peut-être tout simplement conclure que si ce film a rencontré des problèmes pour se monter, c’est éventuellement parce qu’il s’agit d’un très mauvais film, un film à sujet édifiant et assommant qui ne se soucie que d’administrer une claque bien sentie à son spectateur. Les propos idéologiquement contestables de Luc Dardenne et sa volonté de défendre un cinéma à sujet démonstratif créait donc des conditions de réception particulières quant à ce Jeune Ahmed, beaucoup plus que concernant les précédents films des frères, desquels on n’attend, depuis maintenant plus de vingt ans, que des variations parfois judicieuses et parfois moins dans un cinéma singulier mais systémique, dont on sait précisément ce qu’il faut attendre.

Paradoxalement, c’est le recours à des figures archétypales typiquement « dardenniennes », tant au niveau des personnages – l’antihéros entêté – qu’à celui des thématiques – la quête obsessionnelle puis la rédemption –, que le film parvient à contourner le problème idéologique qu’il aurait pu soulever. Ce problème ne se pose dorénavant plus trop dès lors que l’on se retrouve d’emblée plongé dans une version totalement blindée, presque caricaturale, du cinéma des frères Dardenne. Ce cinéma, ce système, semble ici être pratiquement devenu une dimension parallèle, finalement extérieure aux réalités socio-politiques dont il parle pourtant. C’est donc finalement à une autre tare que l’on a affaire devant ce film : l’impression d’être en terrain totalement connu. C’est comme si les Dardenne avaient un modèle, une sorte de « template » d’intrigue, de thèmes et de trame scénaristique, sur lequel il pouvait greffer n’importe quoi, n’importe quel sujet, appliquer n’importe quelle variante. D’un côté, ça singularise profondément leurs films et ça fait assurément d’eux des auteurs qui – tout comme leurs personnages – nourrissent des obsessions. De l’autre, ça enferme et limite tout ce qui pourrait entrer dans ce cinéma pour le faire changer, fluctuer ou évoluer. Chez les Dardenne, rien ne peut bouger. Même quand ils semblent vouloir aller sur d’autres terrains, dépasser la caricature que l’on pourrait se faire de leur cinéma à partir de jugements hâtifs, ils restent in fine dans un carcan manifestement immuable, apparemment imperméable à toute forme d’apport extérieur.