Lay This Drum, la percussion n’est pas qu’une histoire d’homme

Parmi la multitude de spectacles en tout genre proposés aujourd’hui, ceux mettant en avant la percussion semblent avoir de plus en plus de succès.

Que ce soit Stomp, le Blue Man Group ou encore les Fills Monkey, chacun de ces shows a démontré qu’il était possible de monter un spectacle entier en se reposant sur la puissance et l’émotion que dégage le rythme.

Mais il y a un bémol dans tout cela. Dans une époque où la dictature du machisme est remise en question et où la femme revendique cette place qui lui est due dans notre société, qu’en est-il de notre vision de cet art qu’est la percussion ? N’est-elle pas non plus trop machiste ? Pourquoi ne voit-on pas davantage de femmes dans ce type d’expression ?

La Compagnie du Scopitone nous propose Lay This Drum (prononcez Ladies Drum), un spectacle exclusivement composé de percussionnistes féminines qui vont chambouler ce préjugé au sujet de la gent féminine et de la batterie.

Nous sommes allés à la rencontre de Gaëlle Swann et Adélaïde Wlomainck, les deux créatrices de ce spectacle, pour en savoir plus sur le but et la forme de celui-ci.

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Tout d’abord, pouvez-vous nous expliquer comment est né ce spectacle?

G.S. : Pour commencer, en tant qu’artiste, j’ai toujours rêvé de faire un spectacle qui regrouperait les différentes disciplines que j’exerce depuis des années comme les percussions et le théâtre. Mais je n’ai jamais trouvé le point moteur, l’argument pour monter un tel spectacle. Puis, un jour, je fus invitée par une marque bien connue du monde des instruments de musique dans le célèbre studio ICP à Bruxelles pour la présentation d’un nouveau modèle de batterie électronique.

J’étais la seule fille présente lors de cette présentation et durant toute la journée, les hommes m’ont demandé s’ils pouvaient avoir un café, où se trouvaient les toilettes ou encore s’il y avait des sandwichs prévus sur le temps de midi, avant de s’apercevoir que j’étais en fait une des leurs. Evidemment, ils étaient assez confus et en discutant par la suite avec eux, je leur ai expliqué un peu ce qu’on vivaient en tant que percussionnistes féminines. En général, les mecs ont deux réactions.

La première est qu’ils trouvent qu’une fille qui joue des percussions, c’est forcément sexy. Or, je ne vois pas pourquoi est-ce que parce que c’est une fille qui joue de la batterie, cela doit nécessairement être sexy. Quand je regarde un mec jouer, je ne me dis pas « wow qu’est-ce qu’il est sexy ! », à la limite je ne le vois pas, c’est son jeu qui m’intéresse.

La seconde est plutôt une réaction très dubitative du genre : « bon ok elle joue de la batterie mais bon… à l’échelle d’une gonzesse quoi… ». Et c’est là que j’ai compris que je tenais la thématique qui manquait à mon spectacle.

Mais pour le mener à bien, je ne voulais pas travailler avec des filles venant de la percussion traditionnelle. J’ai donc fait la connaissance d’Adélaïde et on a commencé à bosser ensemble et à monter ce spectacle. Mais on a mis beaucoup de temps à former une équipe parce qu’en fait, on est très peu nombreuses à avoir les aptitudes nécessaires. C’est-à-dire qu’il ne faut pas simplement être percussionniste, il faut savoir bouger sur un plateau, etc.

Le souci, c’est que si on prend des percussionnistes classiques, elles sont en général raides comme des poteaux et c’est donc très compliqué de les former pour ce projet. Ou alors, inversement, on a des personnes qui sont très à l’aise avec leur corps, qui bougent bien, mais n’ont pas de technique et ne maîtrisent pas la percu.

Au final, on en a discuté avec Adélaïde et on a pris la décision de plutôt viser l’inter-disciplinarité et de prendre des danseuses qui peuvent se débrouiller en rythme. Parce que c’est triste à dire, mais trouver cinq femmes qui sachent faire tout ce qu’on demande ici en Belgique, c’est pas possible. Du moins, on ne les a pas trouvées.

Justement, quand on parle de ces cinq personnes, comme on le sait, on a aussi cinq personnalités et cinq percussionnistes qui ont chacune leur façon de jouer. J’imagine donc qu’il est très compliqué d’écrire des parties que chacune saura jouer de la même manière. Comme tu l’as expliqué tout à l’heure, tu as écris ce spectacle avec Adélaïde. Mais est-ce que vous êtes parties sur une base déjà écrite, avec des structures bien établies ? Ou est-ce que vous avez opté pour de l’improvisation ?

G.S. : En réalité, il y a eu un peu des deux dans cette écriture. Nous avions toutes deux des parties déjà écrites. Mais étant donné que nous venons de milieux très différents, il fallait confronter nos univers. Parce qu’on avait une façon d’approcher les percussions qui était totalement différente. Moi, par exemple, c’est quelque chose qui s’est transmis de façon orale et donc, je n’ai jamais comblé la lacune de la lecture musicale. Alors qu’Adélaïde a appris de façon très classique, avec des cadres bien définis. Dès lors, on s’est énormément amusées ainsi, en jouant ensemble et en apprenant l’une de l’autre. De mon côté, j’ai énormément appris au fil du temps et ce fut une expérience très riche. Dans un premier temps, le but était de trouver notre language. Puis, dans un deuxième temps, on a écrit et transmis aux autres filles.

Dans la description du spectacle, vous dites que vous interrogez le genre humain au travers des percussions. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là ?

A.W. : Tout simplement parce que les percussions sont déjà destinées à un genre. Lorsqu’on oriente un petit garçon vers un instrument, on l’enverra plus volontiers vers les percussions que vers la flûte traversière. Moi qui donne cours au Conservatoire, je l’observe tous les jours ! Il y a 95% de garçons dans ma classe. La société veut cela et on retrouve le même phénomène pour le football par exemple.

G.S. : Il y a aussi un autre aspect qui appuie ce questionnement, c’est ce qui est utilisé pendant le spectacle pour faire des percussions. Nous allons utiliser des bidons d’huile, des carrosseries de voitures, des pneus ou tout simplement de vraies batteries. Aussi, la manière de jouer sera puissante et non tout en douceur à la manière jazz comme on pourrait s’attendre venant de filles à la batterie. On fait par exemple une marche militaire ou encore quelque chose qui n’est pas très connu par ici : il existe aux Etats-Unis un mouvement féministe qui a inventé des « Slut Walk » (marches de salopes). Ce sont des femmes qui, peu importe comment elles s’habillaient dans la rue, se faisaient traiter de salopes. Alors, elles se sont dit « ok, puisque c’est ainsi on va sortir à moitié à poil, habillées comme des putes, et on va voir si on continue à nous insulter !? ». Et le résultat, c’est que là où elles pensaient qu’il y aurait une limite, le résultat fut le contraire et les mecs ont continué à les insulter et à leur cracher dessus. J’ai trouvé cela intéressant et j’ai voulu un peu l’inclure en utilisant une technique appelée « stepping ». On fait donc une marche avec un message revendicatif et fort. On tape des pieds, on crie,… C’est quelque chose qui est en opposition avec la féminité.

Il y a aussi une partie dansée où l’on a travaillé sur la tenue vestimentaire, le maintien, le mouvement gracieux ou non. On a également un texte basé sur des témoignages de femmes. Mais ces témoignages concernent tous types de femmes. Donc il y a des travestis, des transgenres, … qui amènent davantage à cette question : au fond, qu’est-ce que c’est qu’être une femme ? Au final, on questionne le genre au travers des différents numéros. Peut-être que le public ne décèlera pas toutes ces finesses, mais on veut susciter une réflexion sans pour autant prétendre avoir la réponse. Le but est que le public passe avant tout un bon moment et découvre quelque chose.

Plus d’infos sur la tournée de Lay This Drum sur le site mtpmemap.be

A propos Christophe Pauly 485 Articles
Journaliste et photographe du Suricate Magazine