Kirina au Théâtre National jusqu’au 2 février

D’après l’œuvre de Felwine Sarr, mise en scène Serge Aimé Coulibaly, composition et direction musicale Rokia Traoré, avec Marion Alzieu, Ida Faho, Jean-Robert Koudogbo, Antonia Naouele, Adonis Nebié, Daisy Phillips/Giulia Cenni, Issa Sanou, Sayouba Sigué, Ahmed Soura. Du 29 janvier au 02 février 2019 au Théâtre National. Crédit photo : Philippe Magoni

Je veux une poésie qui s’écrive à hauteur d’hommes. Qui regarde le malheur dans les yeux et sache que dire la chute, c’est encore tenir debout. Laurent Gaudé

Inspiré d’un mythe populaire d’Afrique de l’ouest, La bataille de Kirina, relate l’histoire d’un roi tyrannique détrôné par le soulèvement de son peuple. Symbole de courage et d’espoir, il est raconté par des générations de poètes griots au Mali. La pièce Kirina s’est aussi construite à partir de l’essai Afrotopia, où l’écrivain Felwine Sarr encourage le peuple africain à développer son économie à travers ses cultures et son imaginaire. A l’aide de ces matières, commence un voyage initiatique à travers la mondialisation pour retourner à la source de l’homme, où danseurs, musiciens et comédiens se rencontreront.

Serge Koulibaly nous présente une chorégraphie époustouflante, brutale et tendre à la fois. Chaque danseur reproduit un même mouvement avec son individualité, bâtissant sa propre histoire. Ils se livrent en trans, dans l’urgence d’un présent assoiffé de vie. Nous assistons à des corps désarticulés, des visages grimaçants, des mouvements profondément engagés. Nos cultures se font échos, les corps se répondent, les histoires se mélangent. Notre propre vécu se dessine aux milieux de nos ancêtres communs. Leurs danses s’immiscent au creux de notre intimité, tout en éveillant notre regard sur l’autre. Les corps s’éventrent au sol et ne cessent de se relever. L’homme clame l’honneur. Le chorégraphe nous offre un contemporain à son apogée grâce à la présence des danses traditionnelles africaines.

La pièce fait aussi appel à quarante hommes et femmes non professionnels de tous les âges, de toutes origines et de tous corps. Ces âmes errantes, après avoir traversé le champ de mine, s’invitent au côté des danseurs. Les personnages prennent vie dans de multiples récits. Tous ensembles, ils dénoncent l’exclusion et la discrimination. L’histoire de nos voisins, le passé et le présent se confrontent pour panser l’avenir.

Cette épopée se construit sur l’enivrante musique de la compositrice Rokia Traore. Un mélange contemporain et traditionnel qui lie la guitare électrique aux percussions, bercées par de profondes basses. Les voix des chanteuses nous transportent à travers différentes temporalités et mondes. Les morts sont convoqués sur scène. La scénographie éclairée par des lumières chaude est composée d’immenses piliers de vêtements d’habits, un feu flamboyant de déchets. Au fond du plateau, une fenêtre sur l’extérieur qui invite différents horizons : on entrevoit la mer, la terre ou l’écho de la scène. Kirina voit le jour grâce à une équipe artistique riche de divers talents : théâtre, danse, musique, vidéo cohabitent. Les médiums sont mis sur un pied d’égalité, chacun se défie  et se soutient. Les chanteuses prennent part au récit dans un moment suspendu.

Nos sens se réveillent en douceur, nous nous souvenons de notre corps, nous redécouvrons notre voisin. La cohésion des artistes se cristallise pour questionner notre époque et notre société. Kirina dépeint une révolte pleine d’amour et d’espoir.

A propos Luna Luz Deshayes 29 Articles
Journaliste du Suricate Magazine