Il fallait que je vous le dise… un double témoignage sur l’avortement

Couverture de la BD "Il fallait que je vous le dise" d'Aude Mermilliod (Casterman, 2019)

Dessin et scénario : Aude Mermilliod
Editeur : Casterman
Sortie : 8 mai 2019
Genre : Roman graphique, Témoignage

L’avortement est un sujet sensible. Il divise l’opinion, même dans les pays où l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est autorisée par la loi. Dans Il fallait que je vous le dise, Aude Mermilliod met en mots et en images sa propre expérience et celle d’un médecin. Ces deux témoignages décomplexés offrent un point de vue très personnel sur une expérience complexe et difficile à partager.

Aude Mermilliod est tombée enceinte quand elle avait 24 ans. Serveuse à Bruxelles, sans petit ami « fixe », elle décide de ne pas garder l’enfant. Soutenue par sa famille et ses amis, elle n’échappe néanmoins pas au doute, à la culpabilité, à la douleur, physique et morale, et au sentiment d’être seule.

Il fallait que je vous le dise a beau contenir un message clairement favorable à la légalisation de l’avortement, il ne s’agit pas à proprement parler d’un ouvrage militant. Les controverses scientifiques, éthiques et religieuses, y sont à peine évoquées. Il s’agit ici avant tout de parler d’une expérience personnelle, unique. Il est d’ailleurs remarquable qu’aucun des personnages figurant dans la BD n’exprime d’opinion défavorable face à l’acte d’avorter. Cette acceptation n’empêche toutefois pas Aude de vivre son IVG comme un deuil, une blessure qu’elle a du mal à refermer.

Les copines enceintes, les conséquences de l’intervention sur la sexualité et le couple, les relations avec la famille… L’autrice n’élude aucun des sentiments complexes qu’ils l’ont alors assaillie, tentant d’analyser ce « foutoir émotionnel » qui, selon ses propres mots, résulte de la possibilité d’avoir ou non un enfant.

Mais Il fallait que je vous le dise est plus que le simple récit d’une IVG. L’ouvrage est né d’une rencontre entre Aude Mermilliod et Martin Winckler, l’auteur du roman Le Chœur des femmes (2009) qui raconte la formation d’une jeune interne en chirurgie à la « médecine des femmes ». Dans ce roman, ainsi que dans ses autres ouvrages, le médecin-écrivain défend une médecine plus humaine, à l’écoute des femmes et de leurs besoins.

La deuxième partie de la bande dessinée est ainsi consacrée au parcours de Martin Winckler (Marc Zoffran de son vrai nom). Médecin généraliste, il est formé dans les années 1970, alors que l’avortement est encore illégal. Ayant constaté les conséquences terribles pour la santé des femmes des avortements clandestins, il décide de pratiquer des IVG dans un centre de planning familial au Mans, en France. Là, il apprend à remettre en cause ses certitudes et évolue d’un « paternalisme bienveillant » à une empathie réelle à l’égard des femmes qui viennent le consulter. Il découvre la complexité de leurs histoires singulières et la façon dont une grossesse peut devenir la cause d’une détresse profonde, souvent vécue de manière honteuse.

Cet autre témoignage, également rare, offre une perspective complémentaire intéressante. Que ressentent les personnes qui effectuent les IVG et accompagnent les femmes qui font ce choix ? Le point de vue du soignant permet d’élargir le propos en évoquant les situations variées et complexes des patientes, au-delà de l’expérience vécue par Aude.

Si le sujet de la bande dessinée risque de mettre mal à l’aise certains lecteurs, on doit néanmoins saluer le courage de l’autrice et la force de son texte et de ses dessins. Utilisant une palette de couleurs claires dominée par l’orange, le vert et le jaune, elle évite les teintes trop sombres et donne au contraire une certaine légèreté à son récit, dédramatisant le sujet à travers des dialogues décomplexés sans pour autant occulter la peur, la douleur et la tristesse.

A propos Soraya Belghazi 378 Articles
Journaliste