Hommage à Jos L. Knaepen

Ce 19 octobre s’est éteint Jos Knaepen qui était un des meilleurs photographes au monde dans le jazz.

Il était LA référence belge mais aussi bien au-delà de nos frontières.

Photographe officiel de Toots notamment, il l’était aussi pour de nombreux festivals. Toujours agréable, humain et humble, il fut le complice des plus prestigieux jazzmen de la planète et ses photos ont été publiées dans des magazines du monde entier.

Je vous propose une interview exclusive de lui réalisée par mon ami Etienne Payen.

On le voit à chaque concert, ou plutôt on le devine tant sa silhouette toute de noir vêtue sait se faire discrête, le moment du life venu. On le surnomme « the Jazzman », homme de jazz, photographe de jazz, artiste forcément lui-même par la force des choses, passionné et amoureux d’un jazz qui le lui rend bien…

Rencontre avec Jos Knaepen, infatigable témoin de la scène nationale etinternationale du jazz.

Comment es-tu devenu photographe de jazz?

Dans les années 60, je travaillais en free lance durant le week-end uniquement, pour Het Nieuwsblad – je faisais des reportages sportifs – puis petit à petit j’ai commencé à travailler durant la semaine également, pour finir, début des années 70, par travailler exclusivement pour De Standaard Groep. Comme je gagnais de mieux en mieux ma vie en faisant cela, j’ai décidé de devenir professionnel. De Standaard Groep ne voulant pas s’adjoindre les services à temps plein d’un free lance, j’ai alors commencé à travailler pour différents journaux et magazines. Petit à petit malheureusement, j’ai eu de moins en moins de demandes parce que je n’avais pas ma carte de presse. C’était un cercle vicieux, car, pour l’obtenir je devais travailler pendant deux ans comme stagiaire, et après cela, prouver que je pouvais vivre de ce travail. J’ai donc abandonné la photo à contrecoeur, et je suis entré chez Philipp Morris où j’ai été responsable pour les ventes Duty Free pour le Corps Diplomatique et les militaires. J’ai voyagé pendant vingt ans à travers toute l’Europe.

En 1998, j’ai eu un problème cardiaque, et en 2000, j’ai pris ma préretraite. J’ai alors décidé de faire enfin ce que j’avais toujours voulu faire. Je me suis rééquipé en matériel photo et j’ai commencé à faire des reportages photos.

J’ai toujours aimé le jazz et le premier concert que j’ai photographié a eu lieu au Sounds. C’était la présentation de l’album de Jean-François Maljean. Ce n’était pas réellement du jazz, mais il y avait également le violoniste Jean-Pierre Catoul , qui est décédé peu de temps après. Depuis lors, la photo est devenue un véritable hobby professionnel.

Pour les jeunes photographes qui liront votre interview, penses-tu qu’il soit possible aujourd’hui de vivre en tant que photographe, et particulièrement en tant que photographe de jazz?

Non, certainement pas, car il n’y a pas assez de magazines. En Belgique, par exemple, il y a Jazz Around et Jazz Mosaïc dans la partie Nord du pays, mais c’est un magazine subventionné par l’Etat qui paie uniquement les défraiements. Les journaux, quant à eux, écrivent des articles sur le jazz uniquement en période de festival. Ce serait peut-être possible en fournissant des photos à tous les magazines européens, voire du monde entier, mais même dans ce cas-là, il existe tellement peu de magazines de jazz. Il doit y en avoir trois en France, deux en Espagne, trois ou quatre en Allemagne. Donc, même si les photographes de jazz sont très peu nombreux de par le monde, je ne pense pas qu’il soit possible de vivre uniquement de cela.

Proviens-tu d’une famille de jazzmen? As-tu été élevé dans le jazz?

Ma mère aimait beaucoup la musique et comme je suis né après la deuxième guerre mondiale, la musique qu’elle écoutait c’était le jazz américain, les Big Bands. C’était les années 50 et j’ai été élevé dans cette musique.

Es-tu musicien?

J’ai joué de la guitare, de la « jazz guitare », j’ai même suivi des cours chez un professeur privé. C’était à l’époque où je travaillais chez Philipp Morris, mais très vite la position que j’occupais, et le fait que je voyageais énormément, m’ont empêché de continuer.

Tu n’as jamais rêvé d’être musicien de jazz?

Pas vraiment, bien que la musique ait toujours été présente dans ma vie. A 15 ans, je jouais déjà de la guitare dans un petit orchestre, mais ce n’était qu’un hobby, je n’ai jamais pensé à devenir musicien professionnel.

Tu écoutes de la musique chez toi?

Tout le temps! 24 heures sur 24, à la maison, dans la voiture, au travail. Du jazz uniquement. J’écoute essentiellement les grands standards des années 50. Bien sûr, j’écoute aussi de temps en temps les créations actuelles, mais je dois dire que ce n’est pas ma tasse de thé. J’écoute Bill Evans, Gerry Mulligan, les vieux de la vieille… par contre, je n’écoute pas le Free Jazz, même Ornette Coleman, qui est pourtant un grand musicien car c’est une musique qui ne me parle pas. Lorsque j’écoute de la musique, je dois sentir une mélodie. Or dans le Free Jazz, je ne ressens pas cette mélodie. Je comprends qu’il faille avancer dans le jazz.Quant à moi, je dois probablement faire du surplace

(rires).

En tant que photographe de jazz, tu dois certainement recevoir de temps en temps des albums, mais fais-tu encore la démarche d’en acheter?

Je ne reçois pas tellement d’albums. Par contre, j’en achète toujours régulièrement, dans les festivals, ou lors des concerts notamment.

Photographies-tu mieux quelqu’un que tu aimes?

Oui, certainement. Je tiens à photographier tous les musiciens, mais si ce sont des musiques que j’aime moins, je fais les photos sans écouter la musique et je ne reste pas jusqu’à la fin du concert. Tandis que lorsque c’est un jazz qui me plait, j’assiste réellement au concert et j’écoute la musique.

Lorsque tu assistes à un concert qui te plaît, tu y assistes jusqu’au bout en tant que photographe ou comme auditeur?

Un peu les deux, j’écoute, mais mon appareil est toujours armé, même si, à un moment, j’écoute plus que je ne photographie.

Comment es-tu accueilli lorsque tu arrives dans une salle pour photographier un concert?

Je suis toujours très bien accueilli, parce que nous sommes très peu nombreux dans le métier à nous déplacer spécialement pour un concert. Il y des exceptions lorsque ce sont de tous grands artistes. Dans ce cas, nous recevons des consignes et bien sûr, nous les respectons. Dans les festivals, c’est un peu différent, car nous sommes beaucoup plus nombreux. La fosse déborde de photographes, aussi bien des professionnels que des amateurs. De manière générale, il y a beaucoup plus de gens qui font des photos de nos jours. Cela est dû, je pense, à la technique qui a évolué et facilité les choses.

Es-tu bien accueilli par les artistes?

A partir du moment où on fait de belles photos d’eux, et que ces photos sont parues dans des magazines ou sur le net, on est forcément bien accueilli. Il y a parfois des anecdotes amusantes : j’ai fait un jour un très jolie photo de Eliane Elias. C’était une photo un peu osée car elle portait une robe avec un très grand décolleté. Je l’ai mise sur internet jusqu’au jour où son mari Marc Johnson, par l’intermédiaire de son agent m’a demandé de la retirer. L’année suivante, je les ai rencontrés tous les deux à un festival, et je me suis présenté en disant que j’étais le photographe qui avait fait la photo compromettante d’Eliane. Nous n’avons pas eu de

mots (rires).Marc Johnson m’a dit que c’était une très belle photo mais qu’elle n’était pas pour tout le monde (rires).

Les artistes te demandent-ils tes photos?

Ce n’est pas fréquent, mais ils me demandent parfois s’ils peuvent les acheter pour faire la couverture de leur album.

Tu vends régulièrement tes photos?

Assez régulièrement oui, et essentiellement aux fan’s des artistes qui m’écrivent pour me le demander. Les agents demandent également les photos de leurs artistes.

Quel rapport as-tu avec les agents?

Les agents sont toujours à la recherche de bonnes photos de leurs artistes, s’ils avaient la possibilité d’engager le meilleur photographe au monde ils le feraient. Donc, en général, nous n’avons pas de problème avec eux. Il y a cependant parfois des exceptions. Par exemple, l’agence qui couvre tous les musiciens cubains – c’est une agence basée à Barcelone – demandent à tous les photographes de déposer un cd-rom des photographies faites pendant les concerts. Par la suite, nous ne pouvons quasiment pas exploiter ces photographies. Finalement, nous sommes pour les agents, un moyen facile de se procurer de bonnes photos de leurs poulains.

Le numérique a t’il facilité ton travail?

Pas vraiment, parce qu’en concert, on travaille avec des spots rouges, jaunes, bleus, verts et le numérique, aussi bien que la pellicule couleur, ne savent pas vraiment traiter ces couleurs. C’est pour cette raison que je préfère la pellicule en noir et blanc. Je pose d’ailleurs souvent la question: « Te souviens-tu d’une bonne photo couleur des quarante dernières années? » Il n’y en a pas. Les photos que nous connaissons, en jazz bien sûr, sont des photos en noir et blanc des années 50 ou 40, de Billie Holiday, de Ella Fitzgerald.

Pourtant, la couleur existait déjà à l’époque et les grands photographes de l’époque travaillaient déjà avec des flashes. Il y avait donc la possibilité de faire des photos en

couleurs.

Lorsque tu fais des photos pour les pochettes d’un album, les réalises-tu uniquement en concert ou travailles-tu également en studio?

J’ai un petit studio à la maison et je fais des photos en studio si on me le demande, mais je préfère de loin les photos en live durant les concerts. Ceci dit, la lumière ne permet pas toujours de faire de bonnes photos pendant les concerts, et dans ce cas-là, si les musiciens veulent absolument que je réalise leurs photos, je les invite à venir les faire en studio.

L’idéal pour moi, c’est lorsque je les fais dans le studio d’enregistrement. Ca c’est le rêve. Je photographie en life durant la répétition. J’adore ça. J’ai d’ailleurs relancé cette idée.

As-tu parfois l’impression d’être un voleur d’image?

Il y a des moments en effet où l’on ressent cela, mais il y a aussi des moments où je n’appuie pas sur le bouton, même si je sens que je peux faire une très belle photo.

Je vais te raconter une anecdote. J’étais, il y a six ou sept ans à un festival de jazz où il y avait un concert avec de très grands artistes comme Toots Thielemans et Jimmy Heath. J’étais dans les coulisses, lorsque je vois sortir Jimmy Heath de sa chambre. C’était super, c’était une image formidable, j’avais envie de faire la photo, je voyais l’image, mais il a dit « I’m tired, I’m very tired ». Il arrivait des Etats-Unis, ou d’ailleurs, et il était épuisé. Alors je n’ai pas appuyé sur le bouton, parce que, dans le cas contraire, j’aurais vraiment eu l’impression d’être un voleur d’images.

Je suppose qu’aujourd’hui, tu n’imprimes plus toutes tes photos…

Effectivement non, car à l’heure actuelle, si tu veux travailler avec un magazine, tu dois obligatoirement leur fournir un fichier électronique. Je ne me sers donc quasi plus de ma chambre noire, et même lorsque je fais une exposition, j’imprime mes photos sur une imprimante. La qualité s’est tellement améliorée qu’il n’y a quasi plus de différence avec une photo développée de manière traditionnelle. La seule chose que je fais encore, c’est de développer la pellicule en noir et blanc.

Que deviendront tes photos?

Même si je n’y pense pas souvent, j’en parle parfois avec des collègues. A moins que mes enfants ne désirent les garder, je les offrirai à un organisme pour qu’il s’en serve, au Musée des Instruments de Musique par exemple…

Comment choisis-tu les artistes que tu photographies? Cela dépend t’il de leur notoriété?

Simplement, je les photographie quand j’entends parler d’eux que ce soit dans un magazine ou sur le web. Je préfère cependant photographier les « vieux » musiciens, ceux qu’on n’aura plus la chance de voir dans dix ou vingt ans. La génération des Mac Murphy, Toots Thielemans, et tous les autres. Ils sont d’ailleurs aujourd’hui, meilleurs que jamais.

Les musiciens de jazz soignent-ils leur image?

Le jazz a beaucoup évolué ces dernières années. Il y a aujourd’hui énormément de musiciens de jazz. Contrairement à l’avant-dernière génération, ce sont aujourd’hui des gens qui ont étudié la musique au conservatoire. Ce n’était pas le cas dans le temps. A l’époque, les musiciens se formaient « sur le tas ». Il y avait énormément de problème de drogue dans le milieu, ce qui n’existe plus à l’époque actuelle. Aujourd’hui, tous les musiciens de jazz un peu connus, ont, par ailleurs, un agent qui s’occupe de leur image et de la partie administrative de leur travail.

Quelle est la photo dont tu es le plus fier?

C’est une photo de Bobby Mac Ferrrin que j’ai faite au festival de Marciac en 2004. Il jouait en duo avec Joe Zawinul. Il monte sur scène, il salue le public et ses rastas tombent vers l’avant. Elle est superbe et d’ailleurs, elle est utilisée un peu partout en Europe comme exemple dans des expositions.

Quelle est la rencontre la plus extraordinaire que tu aies faite grâce à la photographie?

McCoy Tyner , au Festival de Bruges. Je l’avais photographié à Marciac et je voulais lui faire dédicacer la photo. Je suis donc allé dans les coulisses, tout en me disant que je ne pourrais certainement pas entrer. J’ai frappé à la porte de sa loge et, à mon grand étonnement, il m’a accueilli comme si on se connaissait depuis vingt ans. On s’est parlé, il m’a offert à boire…c’était merveilleux.

Grâce à la photographie, t’es-tu fait des amis dans le milieu des jazzmen?

Bien sûr! Enormément même, Stéphane Belmondo, Eliane Elias, Marc Johnson, Toots Thielemans. En fait cela fait boule de neige. Toots Thielemans me présente régulièrement à ses amis comme étant « le photographe qui me prend en photo » .

Certains jazzmen américains m’invitent même à passer chez eux lorsque je suis aux Etats-Unis. Je ne sais pas s’ils sont sérieux en disant cela, ou si ce sont des paroles en l’air. Mais de toute façon, je n’ai pas encore eu l’occasion de répondre à leur invitation.

Que t’apporte la photographie?

Lorsque je vais à un concert, j’ai la photo des musiciens en tête. Je n’ai pas toujours la possibilité de réaliser ces photos dont je rêve, parce que les circonstances ne s’y prêtent pas, l’éclairage ne convient pas, il y a trop de micros sur scène. Je sais comment prendre un saxophoniste en photo pour que la photo soit bonne, quelle position prendre pour photographier un pianiste ou n’importe quel autre instrument, mais je n’ai pas toujours l’occasion de le faire, parce qu’il faudrait être sur la scène pour ça. Parfois, l’instant se présente pendant la balance. Et lorsque j’arrive à réaliser ce que j’ai en tête, alors là, c’est le summum. Ca n’arrive malheureusement pas souvent. Pendant un concert, lorsque je réalise une seule bonne photo, je suis déjà content. Photographier, c’est regarder et voir.

Beaucoup de gens regardent, mais ne voient pas. Il faut être toujours super concentré, car il y a toujours des choses qui se passent.

Avec ton oeil de photographe, quel conseil pourrais-tu donner aux organisateurs de concerts?

Qu’ils soignent la lumière. Le son est important, mais la lumière aussi s’ils veulent de belles photos.

Propos recueillis par Etienne Payen ( Octobre 2007).

 

A propos Pierre Gérard 65 Articles
Chroniqueur pour la partie du Suricate Magazine consacrée au Jazz

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