Guantánamo Kid, de Jérôme Tubiana et Alexandre Franc


Scénario : Jérôme Tubiana
Dessin : Alexandre Franc
Éditions : Dargaud
Sortie : 16 mars 2018
Genre : documentaire, biographie

Retour sur le parcours édifiant du plus jeune détenu de Guantánamo

Il est des vies, des parcours, des destins qui sortent de l’ordinaire. L’histoire de Mohammed El-Gorani, par exemple. Son récit de vie brutal et consternant à bien des égards, il l’a raconté au journaliste indépendant Jérôme Tubiana lors d’une première rencontre en 2010 à N’Djamena au Tchad.

Petit, Mohammed était vendeur à la sauvette dans les rues de Médine, en Arabie Saoudite, où ses parents tchadiens ont émigré. Ils y vivaient comme des parias. A l’âge de 14 ans, Mohammed décide de prendre son destin en main et fugue pour un avenir meilleur au Pakistan. Arrivé là-bas à l’aide de faux papiers, il est accueilli chez un cousin d’un bon ami et y apprend l’anglais et l’informatique. Profondément pieux, Mohammed se rend tous les vendredis à la mosquée.

Mais un jour, dans le contexte post-11 septembre 2001, il est arrêté par la police pakistanaise. On le soupçonne d’appartenir à Al Qaïda. Son statut pas très clair, son accent saoudien, sa couleur de peau et son côté indiscipliné ne joueront pas en sa faveur. Il sera vendu au gouvernement américain pour la somme de 5000 dollars. Après un passage à Kandahar en Afghanistan, il atterrit à Cuba, dans une prison construite dans l’enclave américaine : le terrible camp de Guantánamo. Dans cette zone de non-droit, Mohammed va être soumis aux tortures psychologiques et aux mauvais traitements en tous genres durant près de 8 ans avant d’être libéré, accusé à tort d’être terroriste.

Racontées de manière chronologique, les mésaventures de Mohammed nous plongent dans la réalité du pire centre de détention militaire américain. Guantánamo Kid révèle avec force détails les conditions générales d’incarcération mais souligne également le caractère bien trempé de Mohammed qui fait très vite de la résistance passive. Face aux pratiques barbares, le plus jeune détenu n’hésite pas à contrer le règlement pour faire entendre ses droits. Rien n’amenuisera son esprit subversif, il défiera les gardes violents et refusera régulièrement d’obéir tout au long de sa détention. Mais les humiliations sont légions : la soif et la faim, la chaleur, les fouilles incessantes, le manque d’hygiène, la musique et la lumière intensives durant la nuit, la climatisation à outrance, le vaporisateur gaz poivre… Son corps et son esprit garderont des traces indélébiles de ces exactions sans nom. Et son chemin après Guantánamo continue toujours à être semé d’embûches car l’étiquette terroriste lui colle inexorablement à la peau.

Ce roman graphique poignant est très bien illustré en noir et blanc par Alexandre Franc. Les traits minimalistes apportent un contrepoint léger aux tonalités dramatiques de l’histoire. Éditée en partenariat avec Amnesty International, la bande dessinée est complétée d’un dossier reprenant des documents révélés par WikiLeaks.

Guantánamo Kid est une œuvre forte et percutante qui nous ouvre les portes d’un camp qui bafoue les droits humains les plus élémentaires depuis plus d’une décennie. Une véritable honte américaine, toujours pas effacée à ce jour.