Graspop, jour I : Black Sabbath en Belgique, une dernière foi(s)

Tout juste vingt ans après la première édition du Graspop, qui comptait déjà Iron Maiden et Slayer parmi ses têtes d’affiche, l’immense plaine de Dessel, avec ses quatre scènes principales (Main Stage 1 et 2, Marquee, Metal Dome), son Classic Rock Café ainsi que sa Metal Plaza, bordée de sa grand roue et de son Foodtruck Fest, s’apprête à accueillir comme chaque année environ 150.000 festivaliers.

En attendant la grande messe de ce premier jour, ordonnée passé 22h par le pape du Heavy Metal en personne, Mister Ozzy Osbourne, il y avait évidemment de quoi se mettre sous la dent. A commencer par les vétérans californiens de Bad Religion et leur punk choral. Uptempo, mais pas toujours très abrasif, c’est vrai. Disons que pour le créneau peu enviable de milieu d’après-midi en festival, c’est un échauffement convenable. Sans surprise, les albums The Process of Belief  (2002), celui qui marquait le retour du guitariste Brett Gurewitz, et Stranger Than Fiction (1994), celui qui les a révélés, occupaient une place importante dans le setlist avec les morceaux les plus connus du groupe : Supersonic, Prove It, Can’t Stop It pour démarrer en trombe, Sorrow en guise de conclusion ; tandis que 21st Century (Digital Boy) et Infected égayaient le milieu et la fin du show respectivement. La suite pour le groupe ? Probablement un 17ème album pour 2017 et avant cela, le Hellfest le lendemain.

D’autres vétérans, encore plus vétérans, prennent ensuite la « relève » sur la Mainstage 1 : les anglo-américains de Foreigner. Alors qu’on a l’impression de les connaître depuis toujours, cela ne fait que la deuxième fois qu’ils passent par le Graspop, tout comme Bad Religion. Le groupe de Mick Jones (parfait homonyme du membre des Clash, mais à ne surtout pas confondre) joue clairement la carte de l’héritage puisque seuls ses cinq premiers albums (1977-1984) ont eu voix au chapitre. Aveu de faiblesse ? En tout cas, vous l’avez peut-être déjà compris : on n’échappera pas à I Want To Know What Love Is, l’une des power ballad bien dégoulinantes qui nous prouve encore aujourd’hui à quel point les années 80 ont parfois été une (trop) longue transition entre les années 70 et les années 90. Incontournable pour le grand public ? Oui bien sûr, mais ce n’est pas ce grand public qui a dû supporter la vue de dizaines de puristes du metal en train de tourner de l’œil… La suite pour le groupe ? Un nouvel album en 2017 (le premier depuis 2009) ? Mais non, pour quoi faire ?? Bref, Hellfest au programme le lendemain, tout comme Bad Religion.

Megadeth, voilà de quoi entrer réellement dans le vif du sujet ! Cinquième passage au Graspop pour la bande à Dave Mustaine qui a sorti son 15ème album studio, Dystopia, en début d’année et qui est bien décidée à nous le faire entendre. Les trois singles qui en sont extraits y passent (The Threat Is Real, Fatal Illusion, Dystopia) mais rassurez-vous, les classiques Rust In Peace (1990) et Countdown to Extinction (1992) sont évidemment de la partie avec plusieurs morceaux chacun. Le premier quart du Big Four à prendre la Main Stage 1 ce week-end n’a pas déçu. Setlist bien balancé, Thrash Metal immuable, avec toute la virtuosité qui se doit de l’accompagner. Aux guitares comme à la batterie, où le belge Dirk Verbeuren succède plus que dignement au défunt Nick Menza et à Chris Adler, ce dernier étant en ce moment en tournée avec Lamb of God. La suite ? Des festivals de metal un peu partout (Copenhell au Danemark, Tons of Rock en Norvège, Rock Off en Turquie, Rockmarathon en Hongrie, Masters of Rock en République Tchèque)…à commencer par le Hellfest !

Un passage au Marquee s’impose alors pour aller checker Apocalyptica. Un quatrième passage au Graspop, mais le premier depuis 8 ans, pour ces désormais trois violoncellistes venus d’Helsinki (pour rappel, leur premier album en 1996 s’intitulait sobrement Plays Metallica by Four Cellos). Trois violoncelles amplifiés, sortant des sons saturés et distortionnés au possible, soutenu en plus par un batteur monstrueux depuis 2005, et l’illusion est presque parfaite. Nouvelle évolution notoire, le groupe s’est adjoint les bons services permanents de Franky Perez au chant depuis 2014. Au fil des années, le groupe a diversifié son répertoire et se rapproche chaque fois un peu plus de la notion même de « groupe », mais le concept de base de ces « tarés », pardonnez l’expression, fera toujours la différence et vaudra toujours bien un détour à l’occasion. Le public ne s’y trompe pas, les reprises de Master of Puppets et Seek & Destroy (toutes deux de Metallica) restent les sommets de leur prestation.

La pièce de résistance, qui devrait valoir à elle seule toute présence sur place, arrive sur le coup de 22h20. Ce n’est pas la première fois, et c’est même la deuxième en trois ans, mais cela devrait être la dernière. 13, leur 19ème album studio paru en 2013, est officiellement considéré comme étant le dernier d’une longue carrière, de même que cette tournée qui s’achèvera en février 2017 à Birmingham, « là où tout a commencé », a été baptisée The End Tour : cela laisse peu de place au doute. Les dates européennes diminuent, le sol belge les entrevoit pour la dernière fois, il est donc temps de rendre un dernier hommage aux monstres sacrés de… Black Sabbath.

Mouvance Hard rock pour certains, précurseurs du Heavy metal à coup sûr, influence profonde pour tous les Stoners, et j’en passe : bref, tout qui a un jour pris son pied avec un gros riff de guitare bien lourd, bourré de distorsion, accompagné d’un drumbeat lent mais solide, et de lignes de basse assassines jouées en fingerstyle, sans doute trop souvent sous-estimées, DOIT quelque chose à Tony Iommi, Bill Ward et Geezer Butler. Tout cela n’aurait peut-être pas suffi sans une figure de leader mythique, Ozzy Osbourne, qui en dépit de capacités vocales limitées en comparaison avec un contemporain comme Robert Plant, et en dépit du fait que le bassiste Geezer Butler écrivait lui-même toutes les paroles, et sans avoir besoin de revenir sur ses frasques télévisuelles dans les années 2000, a su à un moment donné toucher le cœur de chaque aficionado du genre.

Niveau setlist, on aurait sans doute aimé entendre l’un ou l’autre morceau du très bon 13 (God Is Dead ? ou End of the Beginning par exemple). Mais compte tenu du contexte d’adieu, on leur pardonnera aisément d’avoir joué 12 morceaux sur 14 issus de leurs trois premiers albums, des classiques absolus s’il en est (Black Sabbath, Paranoid et Master of Reality ; 1970-1971). De toute façon, comment imaginer le moindre concert de Sabbath sans After Forever, Into the Void, Snowblind, War Pigs, Hand of Doom, Iron Man, Children of the Grave, sans oublier Paranoid? Tout simplement impossible.

Le public était-il à la hauteur de l’événement ? Une partie, oui. On pourrait évoquer l’heure « un peu » tardive pour une tête d’affiche de ce calibre (Slayer commencera samedi à 21h10 ; Iron Maiden dimanche à 21h05) et les averses incessantes qui auront transformé la pleine du festival et les champs alentours en immenses pataugeoires boueuses. Peut-être que les plus prévoyants auront choisi de s’économiser pour pouvoir tenir le coup les jours suivants. Peut-être aussi que Sabbath est trop classique, trop sage et pas assez bourin pour certains spécimens. Quoiqu’il en soit, une page entière de l’histoire du metal, et de l’histoire de la musique tout court, était en train de se tourner, alors qu’au-delà du cinquantième rang la foule encore bien présente semblait apathique, préférant détourner les yeux de la scène pour pouvoir discuter ensemble une pintje (ou deux) à la main. Avant le quatrième morceau (Into the Void), Ozzy aura eu le temps de caser : « You’re not wild enough for me ! », « I still can’t hear you! » et « C’mon guys, wake up! ».

Le groupe, lui, est à la hauteur. Malgré l’âge, les musicos jouent « comme à la belle époque », les multiples solos d’Iommi sont tous très propres, la dextérité de Butler à la basse vaut vraiment le coup d’œil, quant à la voix d’Ozzy, elle reste étonnement très correcte malgré son parcours de vie chaotique. Tommy Clufetos (36 ans), qui a repris en 2012 le siège d’un Bill Ward en méforme physique, n’a aucun mal à enchaîner les morceaux de Sabbath après avoir servi Alice Cooper, Ted Nugent, Rob Zombie ou encore Ozzy lui-même en solo.

Avant le rappel avec l’inévitable Paranoid, Ozzy nous déclare sa flamme et nous bénit tous. Le pape du heavy metal, dépositaire d’une musique sombre, lugubre, « sataniste » même selon certains, vient de lever un coin du voile. Il est en fait peut-être plus catholique encore que l’autre pape, celui de Rome. Sur cette réflexion qui nous fait doucement sourire, il est temps d’aller se reposer en paix à présent. Car demain est un autre jour.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.