Good Time, immersion dans la nuit noire

Good Time

de Ben et Joshua Safdie

Drame, thriller

Avec Robert Pattinson, Ben Safdie, Jennifer Jason Leigh, Buddy Duress, Taliah Webster

Sorti le 18 octobre 2017

Présenté à Cannes cette année, Good Time permettait aux frères Safdie, cinéastes indépendants new-yorkais, de faire leur entrée en compétition et à Robert Pattinson de fouler une nouvelle fois le tapis rouge, auquel il est désormais habitué. Reparti sans prix, le film aura au moins eu les faveurs d’une bonne partie de la critique cinéphile française et aura confirmé, si besoin en était encore, que son acteur vedette était en train de se forger une solide carrière, dans un sillon résolument « auteur ».

Handicapé mental, Nick Nikas se retrouve en prison après avoir été entraîné par son frère Connie dans un braquage foireux. Déterminé à récolter les fonds pour payer la caution de son frère, Connie se trouve embarqué dans une longue nuit blanche à travers le Queens, croisant le chemin d’autres paumés qui vont lui emboîter le pas dans sa course folle.

Pratiquant un cinéma urbain et intrinsèquement immersif, les frères Safdie avaient atteint une sorte de sommet paroxystique de cette veine avec leur précédent film, Mad Love in New York. Le premier quart d’heure de Good Time semble pourtant aller encore plus loin dans cette voie, en ne décollant pas de ses deux personnages principaux, filmés presque uniquement en gros plans. L’expérience spectatorielle s’annonce alors comme intense, violente, peut-être presque trop rude. Puis, tandis que le scénario – et la caméra – abandonne un des frères Nikas au profit de l’autre, le rythme baisse de régime, rendant le reste du film moins immédiat, moins tripal, mais probablement plus digérable.

Il faut dire que Ben et Josh Safdie devaient prendre en compte une donnée qui leur était jusque-là étrangère : l’intégration dans leur univers filmique de ce que l’on peut communément appeler une « star de cinéma », à savoir Robert Pattinson, qui se trimbale toujours malgré lui une image d’idole post-adolescente en pleine reconversion. Qu’ils le veuillent ou non, leur film et leur cinéma sont marqués par l’intrusion du « star system » en leur sein, et Good Time devient également l’œuvre de Pattinson, autant que la leur. Il faut dire que l’acteur est très bon, au-delà de toute tentative de briser une quelconque image ou de produire une performance remarquable. Il est d’ailleurs tout à fait probable que son interprétation soit ce qu’il y a de mieux dans le film.

Mais si les Safdie se veulent donc avant tout des cinéastes de l’immersion, et que celle-ci se fait dans une certaine forme de réalisme noir – dont le terreau est plus une tradition de romans ou de films noirs qu’un pessimisme ambiant teinté de misanthropie –, ils ont aussi mis au point une manière de faire surgir l’arbitraire, l’inattendu – on pourrait appeler ça de l’étrangeté, voire du poétique –, aux moments les plus impromptus, faisant parfois dévier le film et les personnages d’un chemin qui semblait se tracer de lui-même. On peut ranger dans ce projet de déviation, de surgissement de l’arbitraire, la propension des cinéastes à utiliser des couleurs et des sources de lumières différentes pour pratiquement chaque scène, ou encore le choix d’une ellipse très déstabilisante avant la conclusion du film, laquelle revient là où il avait débuté, sur le personnage de Nick, mais d’une manière beaucoup plus apaisée, comme si lui étaient offerts le repos et le salut que son frère n’a pas su atteindre.