Good Kill d’Andrew Niccol

good kill affiche

Good Kill

d’Andrew Niccol

Thriller

Avec Ethan Hawke, Bruce Greenwood, Zoë Kravitz, Jake Abel, January Jones

Sorti le 29 avril 2015

Incontestablement, Good Kill a des atouts. Andrew Niccol s’attaque à un sujet passionnant : la guerre à distance contre le terrorisme menée par drones depuis les États-Unis en Afghanistan, mais aussi au Yémen ou en Somalie. À travers l’expérience du pilote de chasse Tom Egan, qui trépigne d’être cantonné à combattre les ennemis de l’Amérique derrière un écran, le réalisateur de Lord of war aborde l’impact psychologique de cette guerre d’un nouveau genre tout en documentant le quotidien des opérations. Good Kill dispose aussi d’un décor extraordinaire : Las Vegas et ses rêves de carton-pâte, la banlieue pavillonnaire au bord du désert, comme un dernier rempart de civilisation avant les terres sauvages, une dernière paroi de conformisme et de banalité avant l’inconnu. Enfin, le film a Ethan Hawke, son inconfort perpétuel, les mots qu’il a du mal à lâcher, sa dureté que l’on devine pleine de failles, son regret muet du ciel et son adaptation pesante à la vie au sol.

À l’image de ses ingrédients, la première scène est fascinante. Andrew Niccol capte avec acuité le contraste frappant entre la base américaine écrasée de chaleur, forteresse au milieu de nulle part, et la cabine aseptisée où se pilotent les drones. Grâce à des images d’une précision impressionnante, on scrute sur écran les moindres mouvements des silhouettes qui se déplacent à dix mille kilomètres de là. Quand les bombes s’abattent sur les suspects, pas un son, pas de poussière, pas de feu, pas d’odeur : la déconnexion entre les assaillants et leurs cible est saisissante, et Nicoll traduit avec clairvoyance cette déréalisation de la guerre.

Que deviennent les images et les lieux dans ces guerre visuelles ? C’est sans doute la question la plus intéressante et la plus maîtrisée du film. À l’instar de Las Vegas, le film est tissé de non-lieux, d’irréalité froide, qu’il s’agisse des intérieurs de banlieue ou des villages afghans. La cabine de pilotage n’est pas loin du « cauchemar climatisé », pour reprendre l’expression d’Henri Miller. D’où fait-on la guerre ? L’environnement du major Egan est à plusieurs reprises vu du ciel, comme un monde de jeux vidéo semblable à celui à laquelle il se confronte chaque jour. Quelle relation à l’ennemi se noue, à cette distance ? Où est l’ennemi, qu’on distingue si bien ? Où est la guerre ?

Au-delà de ces aspects, hélas, Nicoll a bien du mal avec la narration et le rythme. L’intrigue tourne en rond, les scènes se suivent et se ressemblent, et si la lassitude qui nous gagne est peut-être issue de la volonté du cinéaste, dans le but de refléter l’effroyable banalisation du job de Tom, on a la désagréable impression que Nicoll ne sait pas ce qu’il pourrait bien faire vivre à ses personnages. L’ébauche d’une intrigue amoureuse ne parvient pas à prendre de l’épaisseur. Comme dans Lord of war, Nicoll, passionné par le réel et doté d’un sens critique affuté, paraît bien peu inspiré dès qu’il s’agit d’intégrer ses préoccupations à un récit fictionnel. Cette maladresse fait parfois glisser le film vers la démonstration désincarnée et donne des personnages quelque peu caricaturaux – les soldats bourrins qui ne font pas dans la dentelle et la jeune recrue qui pleure en appuyant sur le joystick, le vilain taliban lointain qui viole les femmes en burqua avant leurs travaux ménagers –, le tout agrémenté d’une bande-son hollywoodienne, à base de rock viril et de musique poignante quand montent le suspens et l’émotion. Quand Tom raconte à sa femme bouleversée la dure réalité de son travail, on a l’impression d’avoir déjà vu ça cent fois.

Andrew Nicoll affirme avoir voulu montrer l’ambivalence et la complexité de la guerre moderne. Mais, peut-être trop préoccupé par l’affrontement d’arguments, il a fait un film au premier degré, avec les mêmes dilemmes moraux, le même degré de conscience, les mêmes ressorts émotionnels que dans une guerre ordinaire. Nicoll a complètement esquivé ce qui aurait sans doute été passionnant : comment cette guerre sans risque physique et sans adrénaline altère le mythe du héros. Son protagoniste, bien que déchu, reste marqué par un combat intact du bien et du mal, et le chemin vers la rédemption, à la fin du film, paraît bien manichéen. Tout se passe comme si le réalisateur n’avait pas voulu écorner les codes structurants du récit de guerre, et c’est le plus problématique. On aurait souhaité un regard plus audacieux, montrant comment la guerre virtuelle, justement, ébranle et fait vaciller nos croyances, nos histoires, jusqu’à notre cinéma de genre.

A propos Emilie Garcia Guillen 113 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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