La Forme de l’eau, fable fantastico-romantique

La Forme de l’eau

de Guillermo del Toro

Fantastique, Romance

Avec Sally Hawkins, Michael Shannon, Richard Jenkins, Doug Jones, Octavia Spencer

Sorti le 31 janvier 2018

Dans les années 60, la femme de ménage muette d’un laboratoire secret du gouvernement tombe amoureuse d’une créature amphibie prisonnière de ses employeurs. Avec l’aide de sa collègue de travail noire et de son voisin artiste homosexuel, elle décide d’organiser l’évasion de la créature de son cœur.

Résumé comme ça, le nouveau film de Guillermo del Toro, Lion d’Or à Venise, favori dans la course aux Oscars et encensé par la critique, apparaît un peu plus comme ce qu’il est : une fable ultra-naïve et bourrée de clichés qui ne recule que devant très peu de facilités et d’enfonçages de portes ouvertes pour appuyer son propos clair comme de l’eau de roche.

Le film est effectivement une sorte de revanche des faibles manifeste, un conte de fée étrange et vaguement contemporain qui se veut une allégorie du droit à la différence et de la lutte contre les inégalités de toutes sortes. Il est donc difficile de contester le bien-fondé de ce sous-texte ni les meilleures intentions du film et de son réalisateur. C’est d’ailleurs ce qui semble séduire la majorité des défenseurs du film : cette fameuse sincérité qui serait intrinsèquement gage de qualité.

Si tant est que l’on puisse agréer la sincérité comme une valeur indiscutable dans la manière de voir et de recevoir un film, on peut effectivement reconnaitre à Guillermo del Toro son amour immodéré pour l’étrange et les univers hybrides dans lesquels un contexte historico-réaliste (L’Échine du diable, Le Labyrinthe de Pan) est infiltré par le fantastique le plus spectaculaire, via des créatures dont l’apparence visuelle est presque l’intérêt principal.

Mais on peut également se poser la question de la frontière qui existe entre la mise en scène au sens strict et tout ce qui la complète, ce qui l’orne. Or, c’est précisément ce qui ressort de la vision : le fait qu’il s’agisse peut-être plus d’un film de direction artistique que de mise en scène. La Forme de l’eau est un film très bien emballé, doté de ce que d’aucuns nommeraient une « plus-value de fabrication ». Il y a effectivement des choses à admirer dans le cadre, des effets remarquables, etc. Mais la mise en scène qui lie ces choses entre elle, qui est censée les faire exister, reste extrêmement classique, voire pompière.

C’est là le principal problème du film : cet emballage « de bonne facture », cette esthétique aplanissante qui semble se chercher entre joliesse intemporelle et ambiance fantastico-bizarre. Ce qu’il en résulte s’apparente plus à la palette visuelle de films de Jean-Pierre Jeunet – quelque part entre La Cité des enfants perdus et Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain – qu’il ne s’inscrit dans la continuité esthétique des films précédents de del Toro. L’utilisation de la bouillie musicale d’Alexandre Desplat – sorte de mix entre les sons du Yann Tiersen d’Amélie Poulain et la caricature franco-folklorique de la bande son de Ratatouille – ne fait d’ailleurs que souligner cette impression d’impersonnalité, en plus de rendre le film auditivement insupportable et de mettre en évidence l’extrême naïveté de l’ensemble. Pour toutes ces raisons, il est très difficile d’ériger Guillermo del Toro au rang d’auteur, au sens théorique du terme, ce que certains ne manqueront pourtant pas de faire.