La Fille inconnue, le faux polar des frères Dardenne

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La Fille inconnue

de Luc et Jean-Pierre Dardenne

Drame

Avec Adèle Haenel, Olivier Bonnaud, Louka Minnella, Jérémie Renier, Olivier Gourmet

Sorti le 5 octobre 2016

Lors du dernier Festival de Cannes, les frères Dardenne, d’habitude presque unanimement salués par la critique et/ou par le jury, se sont vu administrer leur premier camouflet cannois. Snobé par le palmarès et fraîchement accueilli par une critique internationale réfractaire à son idée de « polar désinvolte », La Fille inconnue a subi les effets de cet accueil mitigé, dont le premier fut un remontage. Le film qui sort sur nos écrans aujourd’hui est en effet huit minutes plus court que la version présentée à Cannes en mai.

Jeune médecin généraliste effectuant un intérim dans le cabinet d’un confrère à la retraite, Jenny Davin se retrouve du jour au lendemain en proie à un terrible sentiment de culpabilité, quand une jeune femme à qui elle a refusé d’ouvrir hors des heures de visite est retrouvée morte peu de temps après. Décidant de reprendre le cabinet alors qu’elle était destinée à une carrière plus prometteuse, Jenny n’a de cesse de retrouver le nom et la famille de cette fille inconnue, afin de lui apporter la dignité dans la mort et d’éviter qu’elle sombre dans l’oubli.

On retrouve dans La Fille inconnue le système scénaristique déjà à l’œuvre dans le précédent film des frères Dardenne. Dans Deux jours, une nuit, le personnage incarné par Marion Cotillard passait de personne en personne, de foyer en foyer, pour essayer d’atteindre un but précis – en l’occurrence, garder son emploi. Ici, le docteur Jenny Davin visite elle aussi une galerie de personnages, également mue par une quête morale, celle de mettre un nom sur cette fille inconnue qui la hante. La démarche unilatérale du personnage principal ainsi que l’évolution par paliers de son « enquête » sont largement mieux rendus que dans Deux jours, une nuit, notamment grâce à la gestion du temps et des ellipses.

Mais ce « ramassage » du temps de la quête de Jenny, s’il permet de rendre le film plus lisible et fluide, a également ses défauts. En effet, cette simplification mène à quelques raccourcis malheureux – ou tout du moins maladroits. La recherche des témoins, de l’identité de la fille inconnue et du coupable est rendue si fluide que l’on a l’impression que Jenny tombe directement sur les bonnes personnes, qu’elle cerne tout de suite ceux qui sont impliqués. Si cette épure de l’intrigue évacue très vite l’aspect « polar » de sa quête – ce qui est plutôt une bonne idée –, cela a aussi comme effet d’induire de gros raccourcis et de véhiculer des clichés très discutables. Dans l’esprit de Jenny, interroger aléatoirement des personnes de couleur noire semble aller de soi car la fille inconnue l’était également. On pourrait attribuer ce raccourci intellectuel au personnage, si le film ne lui donnait raison en la faisant tomber d’emblée sur des proches de la victime. Dans la même continuité, le premier homme noir croisé par Jenny s’avère être un proxénète violent. Retrouver ce genre d’archétypes caricaturaux et douteux dans un cinéma à visée sociale et progressiste est très déroutant. On peut très bien mettre leur apparition sur le compte d’une maladresse scénaristique mais cela reste problématique.

Si l’on est enclin à l’indulgence, c’est parce que, comme toujours chez les Dardenne, La Fille inconnue est pétri de bonnes intentions. La recherche de dignité pour la fille inconnue que mène Jenny, sa volonté de lui redonner un nom, de lui offrir une tombe, est probablement l’une des plus belles menées par les figures « dardenniennes », ces personnages en quête de vérité et de justice – qu’elle soit sociale, divine, naturelle,…. Pour la première fois chez les cinéastes, un de leurs personnages intervient dans une histoire à laquelle il est étranger, mais son implication reste bien entendue d’ordre morale. Car que serait le cinéma des Dardenne sans cette fameuse question de la morale ? Et si l’on a décelé quelques maladresses dans le scénario, on peut également y pointer une très belle idée, renforcée par la mise en scène : lier le regard du spectateur à celui de Jenny, tous deux hantés par une même image, celle de la fille inconnue, vue uniquement par le prisme d’une caméra de surveillance.

On retrouve dans La Fille inconnue les thèmes et les qualités du cinéma des Dardenne, mais cette incursion en terrain connu s’accompagne d’une surprise d’y trouver des maladresses scénaristiques et des raccourcis convoquant – certainement de manière involontaire – des clichés réactionnaires. Le film laisse sur une impression indécise entre admiration et circonspection. Il est incontestablement le plus ambigu des Dardenne, celui qui fera le plus débat, peut-être celui qui marquera un tournant dans la manière d’aborder leur cinéma.

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