Faute d’amour, l’amour du drame socio-politique

Faute d’amour

d’Andrey Zvyagintsev

Drame

Avec Maryana Spivak, Alexei Rozin, Matvei Novikov

Sorti le 27 septembre 2017

Comme à son habitude, et à juste titre puisqu’il excelle dans l’art, Andreï Zviaguintsev revient au devant de la scène cannoise avec un drame social qui porte les couleurs d’une Russie engourdie et affectée par l’Histoire. Genia (Maryana Spivak) et Boris (Alexey Rozin), un couple aisé sans exagération, monsieur et madame tout le monde, dans leur petit appartement de banlieue moscovite, s’apprêtent à divorcer non pas sans haine. Genia a rencontré un homme plus âgé et plus fortuné qui lui propose un bonheur sophistiqué. Quant à Boris, cela fait bien longtemps qu’il en voit une autre, miroitant une vie d’amour et d’eau fraîche au côté de sa nouvelle dulcinée et de leur future petite fille. Et préoccupés par leurs intérêts propres, Genia et Boris en oublient de se soucier d’Aliocha (Matvey Nokikov), le fruit de leur amour passé. Témoin d’une discussion houleuse qu’ont ses parents à son sujet, Aliocha attrape spontanément son petit sac à dos d’écolier et quitte le domicile familial. Dès lors la question demeure : comment deux êtres qui se déchirent peuvent-ils réagir face à la disparition de leur enfant ?

Faute d’amour n’est pas seulement un regard moralisateur porté sur deux adultes qui ne se seraient pas assez préoccupés de leur enfant, mais c’est aussi la critique latente d’un système dans lequel la Russie s’est empêtrée. Car ce que Zviaguintsev met en avant dans son film est l’individualisme exacerbé d’une société capitaliste qui s’est imposée, peut-être un peu trop subitement, à l’ancienne URSS. D’ailleurs, Zviaguintsev joue avec ce contraste en mêlant les mœurs à l’occidentale aux valeurs traditionnelles de confession chrétienne orthodoxe , que l’on retrouve par exemple dans le cadre de travail de Boris.

Un autre point qui est subtilement abordé et qui est tout à fait en lien avec la destruction du modèle familial traditionnel et des relations interpersonnelles est le contact des écrans. C’est avec aucune gène que Faute d’amour nous renvoie à notre propre image, le smartphone comme extension de la main.

C’est pourquoi le spectateur comprend assez rapidement qu’un véritable message se cache derrière une histoire à la fois banale mais singulière. Et d’ailleurs, l’aspect critique du film est d’autant plus marqué que la disparition d’Aliocha est racontée au rythme des événements politiques : aucune date n’est donnée mais pourtant, l’histoire est située quelque part entre la fin du monde du calendrier Maya, Poutine et les Pussy Riots, et les élections présidentielles américaines.

Il n’est pas surprenant que le jury du festival de Cannes ait attribué son prix à Faute d’amour. Zviaguintsev est d’autant plus doué qu’il réussit à donner vie à son histoire en réfléchissant minutieusement chaque image et chaque décor. En effet, le réalisateur russe privilégie des scènes plus longues qui, si elles ne paraissent parfois pas en plein cœur de l’action, accentuent le côté dramatique de la situation. Entre les recherches menées dans de grandes forêts enneigées et le jeu de lumière des fenêtres d’immeubles éclairées la nuit, rien n’est laissé au hasard pour le plus grand plaisir visuel. Mais parfois, cette lenteur rend le film un peu pesant, voire un peu trop mélodramatique.

Et donc, avec Faute d’amour, le réalisateur nous pose une question : Se séparer et recommencer, est-ce une bonne manière d’oublier les fantômes du passé, de devenir heureux, ou peut-on trouver le bonheur ailleurs que là où notre individualisme nous pousse à le chercher ?