Eighth Grade, clairvoyant et immersif

Eighth Grade
de Bo Burnham
Comédie dramatique
Avec Elsie Fisher, Josh Hamilton, Emily Robinson
Sorti le 20 février 2019

Kayla Day (Elsie Fisher) est une jeune adolescente de treize ans qui peine à s’intégrer dans le microcosme scolaire. Relativement taiseuse, elle est généralement laissée de côté et regardée de haut par les filles populaires de son école. Son père, Mark (Josh Hamilton), peine quant à lui à entrer en contact avec sa fille, ne parvenant pas à cerner cette adolescente soumise à des pensées et des changements insaisissables, et constamment rivée à son smartphone.

Pour son premier long-métrage de fiction en tant que réalisateur, Bo Burnham laisse de côté son célèbre cynisme pour donner naissance à une fable sur la difficulté d’exister aux yeux des autres. En parallèle, l’humoriste questionne le rôle des réseaux sociaux dans nos vies : « Selon moi, les enfants rencontrent les mêmes problèmes que nous mais plus viscéralement encore ». Ainsi, s’il a choisi de mettre en scène de jeunes adolescents, c’est pour transmettre un message intergénérationnel au travers de la fragilité des plus jeunes. Récemment interrogé au micro de Sam Jones, l’auteur admettait ne pas parvenir à prendre la distance nécessaire avec les réseaux sociaux et la course aux « likes ». Ce faisant, il exprimait se sentir lui-même concerné par son propre film, malgré le fait que son héroïne n’ait que treize ans.

Plus encore, Bo Burnham cherche, au travers de cette réalisation, à traiter de notre addiction aux réseaux sociaux autrement que par le biais des habituelles statistiques du genre « Augmentation du Cyber Bullying » ou « Rester plus de 5h devant l’ordinateur donne la migraine », cherchant à livrer une vision plus subjective du problème, moins détachée : « Quel est ce sentiment consistant à traverser la vie sans réellement la vivre, alors même que la vie est déjà dure ? Mais, faire l’inventaire de votre vie, être un spectateur de votre vie, vivre une expérience et, au même moment vous survoler vous-même et observer cette expérience, être nostalgique de choses qui n’ont pas encore eu lieu, envisager votre futur comme une nostalgie de votre passé : ce sont des choses particulièrement étranges, dissociatives qui existent maintenant je pense, à cause de la structure spécifique des réseaux sociaux et de la façon dont ils nous dissocient de nous-mêmes ».

En s’intéressant ainsi au rapport de l’adolescent avec les réseaux sociaux, Bo Burnham montre aussi comment la technologie est censée nous rapprocher mais finit en réalité par nous éloigner, les jeunes présentés dans le film étant constamment rivés sur leur téléphone : les amies ne se parlent plus, les élèves n’écoutent pas leurs enseignants et, surtout, alors même qu’elle est à table avec son père, Kayla a ses écouteurs sur les oreilles et ne s’intéresse pas à lui. Des jeunes sont ainsi incapables d’entrer en communication alors que, paradoxalement, il ne font que ça !

Dans son traitement, Eighth Grade s’intéresse encore à l’anxiété chez les adolescents et à la résultante qui vise à ce que certains prétendent parfois être ce qu’ils ne sont pas afin de contourner leurs angoisses. Ainsi, dès son réveil, Kayla se douche, se coiffe, se maquille avant de retourner au lit et de prendre une vingtaine de clichés dont un seul sera choisi pour apparaître sur les réseaux sociaux comme une prétendue photo naturelle prise au réveil.

Enfin, dernière thématique abordée, le film montrera comment la perte d’innocence passe parfois par un certain conformisme favorisé par les réseaux sociaux. Ainsi, notre héroïne voulant exister aux yeux de ses condisciples, elle prétendra avoir une certaine expérience sexuelle et sera ensuite contrainte d’étayer son mensonge en regardant des tutoriels sur les réseaux sociaux, ce qui la dégoutera. Ainsi, le besoin de conformité entrainant une pression sociale, elle sera amenée à envisager de brûler certaines étapes, dénaturant par là-même sa potentielle première expérience et égratignant son innocence.

Eighth Grade est un excellent film qui parvient à poser un regard juste sur l’adolescence sans jamais réellement tomber dans la caricature. Ou du moins, si caricature il y a, celle-ci sert le propos de fond : par exemple, Kayla tentera par divers moyens de se rapprocher des filles populaires de son école ou de jeunes plus âgés qu’elle. Ces personnages étant souvent monodimensionnels, ils souligneront l’absurdité de la quête de Kayla, jeune fille multidimensionnelle et intéressante qui, aveuglément, trouve un attrait dans un monde nettement moins riche mais constitué d’apparences.

Mais surtout, Bo Burnham parvient à livrer une histoire dans laquelle les personnages sont attachants. Car même lorsque Kayla adoptera une attitude insupportable, elle restera tout de même sympathique, n’étant au fond que le produit d’une culture digitale envahissante et d’une anxiété liée à la période adolescente. Ce phénomène sera renforcé par les choix musicaux très colorés qui renforceront la légèreté du métrage.

En conclusion, Eighth Grade est un film intelligent chargé de thématiques intéressantes et qui parvient à dénoncer sans être pour autant moralisateur. La réalisation est belle, soignée, la bande son également et le film, au travers de ses personnages, parvient à porter un regard juste sur l’adolescence. Le spectateur saura sans problème s’identifier aux protagonistes et ressentir leur vécu – la scène où Kayla est invitée à la fête de Kennedy et doit entrer dans la piscine est à ce sujet terrifiante car le spectateur se mettra très facilement à la place de l’héroïne. Un film qui, dans son style, possède assez de qualités pour se hisser aux côtés de monuments du genre !