Dj Shadow au Festival des Libertés 2016

DJ Shadow fait son entrée et nous annonce un show pas comme les autres. Il est vrai que nous nous trouvons dans un théâtre, un cadre peu commun pour une pointure d’abstract hip-hop. Il y a même des places assises. Mais tout prend sens quand le DJ californien allume ses platines et que, simultanément, trois écrans nous renvoient un mapping 3D à couper le souffle. Le mélange audio-visuel déchire le silence et l’obscurité. Surprise visuelle complètement inattendue, ce coup de maître nous propulse au fil des morceaux dans une ambiance psychédélique et hors du temps. Chaque beat est parfaitement synchronisé avec une image monstrueusement fascinante. Ce soir, nous n’allons donc pas seulement contenter nos oreilles !

Pour ceux qui sont venus voir le DJ Shadow d’Endtroducing, premier opus sorti il y a 20 ans, ce live était l’occasion de leur rappeler que ce dj-producteur n’est pas « que » le roi du sample et sait se renouveler de manière complètement révolutionnaire. Le concert est en fait la présentation de son dernier album sorti en juin dernier : The Mountain Will Fall (Mass Appeal Records), fort différent du reste de sa discographie. Ce prodige de Mo’Wax nous fait découvrir un nouveau visage avec peu de ressemblances à son habituelle broderie du sample. Preuve qu’il est largement capable de dépasser son propre cliché et de ne pas rester enfermé dans un style particulier. Il y a bien sûr des samples, mais il ne s’arrête pas là. Ses collaborations vraiment réussies le prouvent, comme le featuring avec Run The Jewels pour l’ultime Nobody Speak. On retrouve les caractéristiques d’une basse funk, des percussions groovy, des cuivres en puissance ainsi que des riffs de guitare. Le tout agrémenté de sa nouvelle touche électro. Les paroles sont engagées contre des politiciens, présentés comme de la vermine aux ambitions malsaines et face auxquelles personne ne réagit. Une charge clairement adressée à la campagne Trump-Clinton. Une mise en scène de clash et un langage provenant du rap transposé dans le monde politique montrent bien que, si les politiciens s’exprimaient aussi librement que les rappeurs, leurs véritables intentions feraient frémir. Un visuel toujours aussi impressionnant par l’enchaînement et la maitrise d’images symboliques et percutantes qui atteignent le paroxysme de leur critique quand l’un des deux opposants plante son adversaire avec le drapeau américain. Conclusion : on préfère les racailles de la rue à celles qui nous gouvernent.

Autre exemple de collaboration qui fonctionne : Ashes to Oceans,  accompagnée de la douce trompette de Matthew Halssal. Ce morceau ouvre la voie d’un album atmosphérique et révèle la grande sensibilité de l’artiste, qui a d’ailleurs beaucoup de mal à s’assumer sur scène. Mais ce gène (cette gêne ?) n’est absolument pas reprochable, il renforce l’impression que DJ Shadow nous ouvre son coeur en nous montrant aussi la délicatesse musicale dont il est capable. (Mais il est difficile de lui reprocher cette gêne, d’autant plus qu’elle vient renforcer l’impression que DJ Shadow nous ouvre son coeur tout en nous dévoilant la délicatesse musicale dont il est capable) Cette modestie touchante est très appréciable de nos jours, surtout dans le monde du hip-hop. Son concert n’est donc pas ponctué d’interventions auto-complaisantes, contrairement à ce que l’on a l’habitude de voir dans ce domaine.

Malheureusement, une partie du public est hermétique à cette touche « fragil » du live et en veut peut-être à l’absence de gangstérisme charismatique dans sa façon d’habiter la scène. Mais cet album n’est pas fait pour danser, ce qu’attendent sûrement certains de ses fans puisqu’ils lancent des cris sauvages pour montrer (extérioriser) leur frustration. DJ Shadow y répond une nouvelle fois avec beaucoup d’humilité ; d’une voix chevrotante, il explique qu’il est désolé que certaines personnes n’apprécient pas ce qu’il fait car il essaye simplement de nous montrer ce qu’il aime. Comment ne pas être touché par la sincérité de ces paroles et l’intensité de sa musique ? Apparemment, cela ne suffit pas. Et les impolis continuent de huer… Ils n’ont toutefois pas compris que, plus ils expriment leur désaccord sur sa prise de distance avec ses premières productions, plus notre artiste est animé d’un désir d’évoluer vers de nouveaux horizons. C’est ainsi que pour lui, les critiques deviennent des défis à relever. Et c’est par sa curiosité naturelle pour ouvrir sa musique aux nouvelles technologies qu’il a utilisé Ableton Live pour composer son dernier album. D’ailleurs, les fans n’ont pas été les seuls à désapprouver sa récente tournure musicale. Il en va de même pour (une partie de) la presse, visiblement insensible à la couleur de cette profonde mélancolie, agitée par un violent tourbillon de basses dans une ambiance sombrement inquiétante.

Pour nous, ce live ne prend sens qu’avec la virtuosité de la vidéo qui l’accompagne. Le visuel acrobatique et original fait raisonner les nouvelles sonorités obscures de DJ Shadow et nous font vibrer de l’intérieur grâce à leur parfaite harmonie. Ce live est à comprendre comme une réelle performance artistique dans son ensemble, et non comme un simple concert. Nous lui reprocherons seulement un penchant un peu trop grand pour la trap, bien que ce soit plutôt légitime dans la construction de l’oeuvre. Il est étonnant qu’aucune chronique n’est relevé le blâme adressé à la destruction d’une faune et d’une flore presque irréelle par sa force hypnotique. La Nature sort de l’ombre, vient violemment reprendre ses droits et subtilement nous dévoiler son éphémère magnificence. On oublie peut-être un peu trop le caractère prophétique du titre et de l’esthétique de cet album, qui rappellent les vices d’une humanité prête à tout pour le pouvoir. En effet, « the mountain will fall and will kick your brain out. »

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