Charles Le Brun – Le peintre du Roi-Soleil, au Louvre-Lens

Du 18 mai au 29 août 2016

La dernière monographie dédiée à Charles Le Brun date de 1889 et la seule exposition rétrospective n’a eu lieu à Versailles qu’en 1963 à la demande personnelle de Charles De Gaulle et André Malraux, dans l’optique d’une restitution de la gloire nationale après les ravages de la Seconde Guerre mondiale. Depuis, plus rien. Charles Le Brun est trop souvent associé à Louis XIV, l’enjeu ici était de le sortir de Versailles et les 1700 m² du musée Louvre-Lens se prête à merveille à cette exposition impressionnante constituée de 230 œuvres qui conjuguent tous les arts pour renforcer le message dédié à ce très grand mais pourtant méconnu artiste du Grand Siècle.

Mais qui était Charles Le Brun ? Eh bien, c’est le plus grand artiste français de la moitié du XVIIe siècle. Il fut le premier peintre du Roi-Soleil, directeur de la manufacture des Gobelins, qui regroupait tous les métiers servant à la décoration des palais royaux (mobilier, sculptures, tapisseries, vaisselle, etc.), illustrée par une magnifique tapisserie qui représente la visite du roi dans cette même manufacture où Le Brun lui présente les différents métiers. Charles Le Brun était également Garde des tableaux et dessins du roi, autrement dit c’est lui qui s’occupait des principales acquisitions qui forment encore aujourd’hui le fond de la collection que l’on peut admirer au musée du Louvre.

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Manufacture des Gobelins, atelier de Jean Jans le fils d’après Charles Le Brun, Le Roy Louis XIV visitant les manufactures des Gobelins, 1673-1679, haute lisse à or, laine et soie.

La première salle est dédiée au mythe. En effet, dès son époque, Charles Le Brun était déjà considéré comme tel : le plus grand artiste de son temps (France = Europe = monde). Ici, on peut également admirer ses lettres de noblesse puisqu’il fut anobli par le roi, ainsi qu’un portrait, exécuté par un autre peintre ce qui n’était pas l’usage, portant un portrait de Louis XIV en médaillon incrusté de pierres précieuses : un cadeau précieux du roi que peu pouvaient se targuer de recevoir. Il fut donc un mythe en son temps et le restera durant le XVIIIe siècle puis il tombera dans l’oubli aux XIXe et XXe siècles.

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Nicolas de Largillierre, Portrait de Charles Le Brun, vers 1683-1684, huile sur toile, Florence, Musée des Offices.

Le parcours de l’exposition se fait de façon chronologique jusqu’à l’époque où Le Brun reçoit ses différentes charges, les salles sont alors axées sur les thématiques de ses travaux et autres projets (tapisseries, dessins, cartons, projets pour la galerie des Glaces, esquisses préparatoires aux sculptures, etc.) puis au moment de sa disgrâce on retrouve un parcours chronologique. A sa mort en 1689, l’ensemble de son atelier est saisi et remis à la couronne, ce pourquoi l’on a pu conserver des dessins préparatoires qui, très fragiles et n’étant plus d’aucune utilité, disparaissaient en général au bout d’une ou deux générations..

Charles Le Brun était un prodige. Dès l’âge de 15 ans, il commence à produire de petites peintures en camaïeu qui étaient des modèles pour l’estampe, c’est-à-dire la gravure populaire, où l’on remarque déjà un grand savoir-faire et une technique déjà bien affirmée. Ses parents étaient également issus du monde l’art notamment son père qui était sculpteur et dont il fit le portrait en train de sculpter à peu près à la même époque.

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Charles Le Brun, Portrait de Nicolas Ier Le Brun, vers 1633-1635, huile sur toile, Salzbourg, Residenzgalerie.

Son destin bascule lorsqu’il rencontre le chancelier Séguier qui devient son mentor et lui sa créature. En 1640 il a 20 ans et reçoit déjà deux grandes commandes l’une Hercule terrassant Diomède pour orner le palais du cardinal Richelieu (premier ministre du roi) et l’autre Le Martyre de saint Jean à la porte latine pour la chapelle de la confrérie des maîtres peintres et sculpteurs où l’on voit les couleurs vives transparaître, de nombreux raccourcis permettant au spectateur d’entrer dans le tableau et déjà cette aisance perceptible dans le détail qui anime les animaux.

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Charles Le Brun, Hercule terrassant Diomède, vers 1640-1641, huile sur toile, Nottingham, Castle Museum and Art Gallery.

C’est ensuite le temps de son voyage à Rome où l’envoie le chancelier Séguier en compagnie de Poussin pour qu’ils y poursuivent leur formation. C’est là que l’on voit que Le Brun à cette capacité rare de s’imprégner du style des autres peintres. Beaucoup de ses œuvres ont d’ailleurs été attribuées à d’autres peintres tant il arrivait à capter leur style unique tout en y mettant sa touche et en les améliorant. Il « copie » également d’autres peintures et s’inspire de l’Antiquité et des sculptures romaines. Le Brun arrive aussi à représenter un moment choisi bien spécifique et à lui donner de la véracité conjuguée à une inspiration réaliste qui réhaussent les mythes antiques.

Le Frappement du Rocher signe son retour à Paris où il fait du « Poussin » tout en changeant les formats et en y insufflant son style. Après une étude plus minutieuse, il est impossible d’attribuer des œuvres de Le Brun à Poussin ! Le Sacrifice de Polyxène est un tableau de la même période qui a été découvert récemment, il n’existait même pas dans les hagiographies, n’avait jamais été répertorié, on ignorait jusqu’à son existence. Il a donc été retrouvé il y a peu dans la chambre de Coco Chanel et fut acquis par le Metropolitan Museum of Art de New York pour la « modique » somme de 1,5 millions d’euros !

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Charles Le Brun, Le Sacrifice de Polyxène, 1647, huile sur toile, New York, Metropolitan Museum of Art.

Le Christ au jardin des Oliviers est probablement une réplique dont l’original, peut-être le tableau noirci retrouvé dans les réserves de Versailles, fera l’objet d’une restauration qui sera visible et visitable (le matin et l’après-midi) au Louvre-Lens à partir du 6 juin et ce jusqu’en août.

L’œuvre emblématique de l’exposition est sans nul doute le monumental Portrait équestre du chancelier Séguier où l’on retrouve toute la puissance et la technique parfaite de Le Brun, les drapés magnifique des tissus en or ainsi que les nombreux détails des costumes réalisés avec une finesse inouïe, le fil conducteur de son attrait pour le monde animal se retrouve dans l’exécution admirable de ce cheval blanc aux yeux malicieux et incarnant la vigueur physique d’un chancelier déjà âgé, la ronde des pages présentant chacun un visage différent, l’un nous regardant dans les yeux pour nous faire entrer dans le tableau, la géométrie des ombrelles qui se répondent, etc.

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Charles Le Brun, Portrait équestre du chancelier Séguier, vers 1660, huile sur toile, Paris, Musée du Louvre.

En 1661, Le Brun reçoit ses charges du roi Louis XIV. On entre alors dans un petit espace où se répondent une sculpture le Cénotaphe du cardinal Pierre de Bérulle et deux tableaux représentant Sainte Madeleine. Ses œuvres formaient le décor d’une chapelle mais sont normalement conservé dans différents musées. Ici, le temps de l’exposition elles sont réunies à nouveau en attendant de retourner chacune de son côté.

Nous passons ensuite à une salle dédiée à Fouquet où l’on retrouve une grande partie des esquisses préparatoires du décor impressionnant voulu par Fouquet pour son château de Vaux-le-Vicomte que Le Brun n’aura jamais le temps de terminer à cause de l’arrestation de l’intendant du roi. Le château de Vaux a été pour Le Brun un tournant, une preuve qu’il était capable de créer tout un programme, d’être le maître d’œuvre d’un grand chantier, de superviser une équipe et de terminer les travaux à temps. C’est grâce à cela que le Roi-Soleil lui confiera les charges importantes et l’anoblira pour le travail accomplit.

On admire une magnifique tapisserie Terpsichore réalisée par la manufacture des Gobelins qui présentait une anomalie : elle n’était pas doublée ce qui permettait de voir la chatoyance des coloris. Elle fut doublée pour être présentée au public mais une fenêtre a été aménagée à l’arrière pour pouvoir l’observer. Les tapisseries étaient beaucoup plus chères que les tableaux notamment à cause des matériaux utilisés tel que fils d’or et de soir mais aussi parce qu’elles prenaient beaucoup plus de temps à être réalisées.

Charles Le Brun était très attiré par les formes animales et faisait de nombreuses recherches sur la théorie de la physignomonie : il faisait des recherches sur les visages humains et expérimentait la manière de faire ressortir leur caractère pour ensuite les conjuguer avec des formes animales pour en obtenir des hybrides. Une salle est dédiée à ses cartons où l’on peut admirer divers portraits et recherches qu’il a effectuées à ce sujet.

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Charles Le Brun, Trois têtes d’homme en relation avec le lion, vers 1668-1678, plume et encre noire, lavis gris et gouache blanche, Paris, Musée du Louvre.

En tant que directeur de la manufacture des Gobelins, Charles Le Brun n’était pas autoritaire, il découvrait les talents d’autres peintres. Il donnait sa touche personnelle mais laissait également les artistes s’exprimer dans leur art. Par exemple, un carton de lissier fut dessiné par lui puis donné aux lissiers pour qu’ils le reproduisent. Mais on remarque qu’effectivement, il y a un monde entre le carton de base et la tapisserie finale.

A la tête des chantiers royaux nombre de ses dessins (350 cartons) ont été conservés grâce à la saisie royale opérée après sa mort. On découvre alors une unité de style impressionnante. Le Brun dessina même les sculptures ensuite confiées au sculpteur Girardon. Ici, 4 sculptures monolithiques en marbre de Carrare provenant des jardins de Versailles et représentant les 4 saisons répondent aux dessins préparatoires de Le Brun et permettent de se rendre compte de comment celui-ci travaillait : il dessinait une esquisse rapide et laissait ensuite les artistes faire le reste. C’est la première fois que les 4 saisons sont sorties des réserves de Versailles.

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François Girardon, Hiver, XVIIe siècle, sculpture en marbre de Carrare, Versailles, Château de Versailles.

On entre ensuite dans une salle consacrée à un arc de triomphe représenté par la gravure parce que c’est comme ça que les gens en avaient connaissance à l’époque. En effet, seul des petits morceaux étaient représentés les gens ne pouvant pas aller se balader dans les demeures royales pour s’en faire une idée ou les voir dans leur entièreté.

Le Brun est également l’auteur du programme de la Galerie des Glaces et l’on peut admirer une série d’essais et de dessins préparatoires liés à cette immense entreprise. Une section pédagogique y est également installée avec un programme réalisé par Nicolas Milovanovic conservateur en chef du département des peintures au Musée du Louvre qui présida à la restauration de la Galerie des Glaces de Versailles. Un mini-site ludique est disponible où les figures de la galerie peuvent être agrandies et sont annotées d’explications de leurs attributs.

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Galerie des Glaces de Versailles, XVIIe siècle, Château de Versailles.

Enfin, la dernière salle est dédiée à la disgrâce de Le Brun. A la mort de Colbert, c’est Louvois qui récupère sa charge. Le Brun étant un ami de Colbert, il est détesté par Louvois. Si Le Brun conserve ses charges, Louvois ne fait cependant plus appel à lui. Le Brun se tourne alors vers ses premières amours et redevient peintre en réalisant de petits tableaux sur la vie du Christ jusqu’en 1689, date de sa mort.

Le Louvre-Lens en plus de cette rétrospective à prévu nombre d’activités originales qui y sont liées telles que créations et ateliers, théâtre, lecture en musique et autres colloques scientifiques. Une exposition exceptionnelle donc, et qui vaut le détour à la (re)découverte d’un artiste qui a imprégné non seulement son temps mais qui a également orienté tout l’art d’une époque, celle du Grand Siècle, et présidé à la gloire du Roi-Soleil.

A propos Daphné Troniseck 254 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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