Ca ira (1) – Fin de Louis de Joël Pommerat au National

Création de Joël Pommerat, avec Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Eric Feldman, Philippe Frécon, Yvain Juillard, Anthony Moreau, Ruth Olaizola, Gérard Potier, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu, Simon Verjans, Bogdan Zamfir, Crédit photo © Elisabeth Carecchio

Du 11 au 15 octobre  à 19h au Théâtre National

Dans ses adaptions de contes, Joël Pommerat avait déjà bouleversé les codes du théâtre pour jeune public. C’est avec une même audace qu’il révolutionne ici un autre genre, le théâtre historique. Le metteur en scène n’est pas du genre à expérimenter dans la facilité : pour cette première tentative, il s’attaque à un moment fondateur de l’imaginaire collectif, les premiers mois de la Révolution française. Si le résultat n’est pas entièrement convaincant, l’intelligence, la radicalité et la cohérence de Pommerat rendent l’expérience assez passionnante.

Il se tient en effet sur un fil extrêmement ténu, évitant la reconstitution historique sans se livrer à une pure adaptation contemporaine. Pas de perruques, pas de décor XVIIIe pour ces révolutionnaires en costume et tailleur-pantalon (oui, il y a ici des députées femmes) qui parlent au micro et font des selfies. Mais pas non plus de transposition systématique au monde actuel : il y a bel et bien un Louis XVI (le seul personnage historique clairement identifié), des Etats-Généraux situés à Versailles, des députés de la noblesse et du Tiers-Etat, des allusions aux Lumières, bref, on est ancré dans une époque qui n’est pas la nôtre, mais dont on parvient à comprendre le fonctionnement et les défis, comme s’il s’agissait d’un pays étranger. En gommant les traces trop nettes qui feraient de la pièce à la représentation d’une époque pittoresque et révolue, en brouillant l’identité de personnages historiques trop reconnaissables, Pommerat nous laisse face à nous-même pour entrer dans le mouvement turbulent d’une société en train de choisir son destin. Il s’agit donc plutôt d’une actualisation de cette révolution particulière et de ses enjeux : la société divisée en ordres est envisagée comme une société de classes ; on évoque le risque de dictature ou de terrorisme. Cette position extrêmement délicate entre la singularité de l’événement et son élargissement  possible à d’autres contextes fonctionne à merveille : on n’assiste pas à une narration lissée de l’histoire de France, on voit sous nos yeux une révolution qui naît, une démocratie en marche, brouillonne et chaotique. Ca s’empoigne, ça s’engueule, ça s’arrache le micro pour faire entendre ses arguments, ça change d’opinion, ça se rétracte : cette révolution-là, terriblement vivante, nous donne une furieuse envie de nous lancer dans l’arène.  On se surprend à vivre les événements et les discours avec une fougue pareille à celle des comédiens : on se demande si accueillir le clergé à l’assemblée est une bonne idée, on proteste à la proposition de suspension  de séance, on perd confiance en Louis XVI avant de lui accorder le bénéfice du doute, et, parfois, on perd patience tellement c’est long et bavard, une révolution.

Si le metteur en scène a le courage de se renouveler et de tenir son cap avec obstination, les amateurs de sa veine plus intimiste, plus personnelle regretteront toutefois un certain affaiblissement de son style, qui fait en général d’une pièce de Pommerat une expérience sensorielle et esthétique magique. Ici, il a fait le choix de centrer sa pièce sur la parole publique, en ne laissant la place ni aux relations personnelles, ni aux tourments psychologiques, ni à l’intime, faisant passer au second plan son travail d’orfèvre sur la lumière, le son, l’espace. La mécanique des débats –interminables – à l’Assemblée Nationale, qui compose une grande partie de la pièce, s’essouffle un peu au fil des 4h30 de spectacle. Mais en saisissant ce collectif qui a soif de parole et croit avec passion à sa force, ce moment où s’invente l’espace public, il parvient à rendre captivante une histoire qui appartient à tous, largement figée par le mythe et les livres d’histoire. A la rendre urgente. C’est un autre tour de magie de Pommerat, que l’on n’attendait pas.

A propos Emilie Garcia Guillen 113 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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