Burning, du pouvoir des histoires

Burning

de Lee Chang-dong

Drame

Avec Yoo Ah-in, Steven Yeun, Jeon Jong-seo

Sorti le 29 août 2018

Reparti bredouille – au grand dam de la critique internationale – du dernier Festival de Cannes où il était présenté en compétition, le dernier film de Lee Chang-dong avait d’emblée des allures de favoris, notamment par son aspect de grand film ample et long (2h30) ou par le statut particulier de son auteur, habitué de la sélection officielle, poète et ancien ministre de la culture de son pays, la Corée du Sud. Le film provoquait également un soupçon de curiosité supplémentaire de par la présence en son casting de Steven Yeun, l’un des acteurs-vedettes de Walking Dead.

Burning démarre plus ou moins par la rencontre fortuite entre Jongsu, un fils d’agriculteur tentant de devenir écrivain, et de Haemi, une jeune femme qu’il avait vaguement connue durant son enfance. Alors qu’une relation démarre entre Jongsu et Haemi, le départ de celle-ci pour un pays étranger et son retour avec Ben, un jeune parvenu du quartier riche de Gangnam, viennent tout bouleverser. Alors que les trois personnages se mettent à flâner ensemble, Ben confie à Jongsu avoir un étrange passe-temps….

Le passe-temps en question est à mettre en rapport avec le titre du film. Nous ne le « spoilerons » pas ici mais noterons tout de même qu’il apparaît plutôt comme une espèce de « McGuffin » dans le déroulé de l’intrigue et des thématiques qu’elle charrie, d’autant plus qu’il est aussi et surtout un prétexte pour aborder de front le grand sous-texte du film, une réflexion sur le pouvoir des histoires et sur ce qu’implique réellement le fait de « raconter des histoires ».

À mi-parcours, après l’escamotage scénaristique et visuel de l’un des trois personnages principaux, la quête de l’un des deux personnages restants – celle de retrouver le personnage manquant, donc – sera parasitée par cet impact des histoires sur ce qu’il aura préalablement vécu, ce qui aura été préalablement montré. Jongsu, Haemi et Ben sont tous trois de grands raconteurs d’histoires : Jongsu parce qu’il veut en faire son métier, Haemi pour enjoliver sa vie qu’elle juge terne, et Ben pour se faire valoir auprès de ses nouveaux « amis ». L’attrait et la beauté du film se situe principalement dans ce qu’implique cette configuration pour le spectateur, le fait de devoir se démener avec les différentes histoires qui lui sont contées afin de construire la sienne propre. En cela, il peut y avoir autant de « versions » du film qu’il y a de spectateurs. Sans avoir l’air d’y toucher, c’est une discrète mais véritable expérience interactive qui est ici proposée.

Au-delà de ça de ça, Burning est aussi traversé de bout en bout par une grande cohérence plastique et par une lenteur hypnotisante, sous-lignée et accentuée par le jeu accordé et assez fascinant des trois comédiens, dont les expressions et les interactions constituent une part essentielle de la beauté du film. Si les précédents films de Lee Chang-dong (Secret Sunshine, Poetry) distillaient un charme certain derrière une beauté froide parfois intimidante, Burning apparaît peut-être un peu plus dans toute la richesse de ce que peut proposer le cinéma de cet auteur.