Big Eyes de Tim Burton

big eyes affiche

Big Eyes

de Tim Burton

Biopic, Comédie, Drame

Avec Amy Adams, Christoph Waltz, Danny Huston, Krysten Ritter, Jason Schwartzman

Sorti le 18 mars 2015

Cela doit faire plus de dix ans déjà que le Tim Burton qui nous faisait rêver n’est plus. Perdu dans les méandres de l’industrie hollywoodienne, aux films populaires et vides de consistance, la magie n’opérait plus. Pourtant, à tous ces enfants qu’il a un jour touchés par la tendresse de sa magie, son style gothique et loufoque, Tim Burton n’a cessé de faire garder l’espoir, épongeant déception après déception, qu’un jour il reviendrait avec la saveur de ses premiers films.

Tim Burton, ces dernières années, semble en réalité se chercher. Comme s’il tentait de trouver sa place dans un renouveau culturel auquel son univers ne s’accorderait plus. Il y a alors trois ans de cela, le réalisateur présentait l’esquisse de retrouvailles avec Frankenweenie (2012). Mais le mérite n’était pas grand, car il reprit simplement un court métrage éponyme de ses premiers succès (1984) pour en faire un film.

Aujourd’hui avec Big Eyes, il nous propose un nouvel essai. Celui de toucher à un cinéma plus intime et plus sincère. Se basant sur des faits réels, Burton s’inspire de l’histoire de Walter Keane (joué par Christoph Waltz), l’un des peintres américains marquants des années 50, connu pour ses œuvres d’enfants aux yeux démesurés et à l’air mélancolique, mais surtout pour la manière dont il a su commercialiser ses œuvres, ouvrant la voie aux idées d’un Warhol. Mais plus intéressant encore, son œuvre fut le lieu d’un scandale : durant des années, il prétendit qu’il s’agissait bien de ses propres peintures jusqu’à ce que sa femme, Margaret, s’en réclame être l’auteur. Noyée dans leur mensonge, elle avait laissé durant toutes ces années son mari prendre le mérite de son art.

Avec ce dix-septième long métrage, Burton prend ainsi le risque de faire table rase du passé, de ses erreurs et ses échecs. Laissant de côté sa folie des grandeurs, il amoindrit les angles de son style outrancier, dont il ne savait que faire ces dernières années, et retourne vers l’essence du cinéma : celle de raconter une histoire.

Et c’est donc celle de Margaret Keane, une femme fragile et forte à la fois, incarnée avec finesse par Amy Adams. Tim Burton y dépeint les tiraillements de l’âme d’une femme qui perd le contrôle de son œuvre et finalement de sa propre identité, coincée dans les filets d’une relation malsaine et abusive, les carcans d’une société de surconsommation – où, comme le dit Walter dans le film « people don’t buy lady art ». Car au-delà de parler de l’histoire d’un couple déchiré, Burton questionne ici l’éthique du marché de l’Art et la place de la femme artiste, sous la forme d’une satire comique. Loin de faire un étalement de pathos – bien qu’une touche est nécessaire pour nous rappeler les fameux mélodrames des années 50 à la Douglas Sirk – le film sonne avec justesse.

Comme il ne l’avait plus fait depuis Ed Wood, en 1994, Tim Burton s’en retourne au récit. Et ce n’est sans doute pas là le fruit d’un hasard, car c’est justement avec le même duo de scénaristes – Scott Alexander & Larry Karaszewski – qu’il travailla sur les deux films en question, à dix ans d’intervalle. Si Ed Wood avait été le plus gros échec commercial du réalisateur, il était son film le plus personnel et certainement l’un des plus aboutis.

Big Eyes est cependant loin d’être à la hauteur d’Ed Wood. Mais il rehausse tout de même les derniers ratages du réalisateur, qui semble tout doucement trouver sa voie, avec un style et un genre qui lui sied mieux. Il laisse ainsi de côté ses habitudes. Pas d’Helena Bonham Carter, ni de Johnny Depp, mais des nouvelles figures avec qui il n’avait encore jamais tourné. Une histoire réelle et simple, sans fantasqueries. Un style bien plus épuré et minimaliste qu’on ne lui connaissait que peu. Mais que les puristes se rassurent tout de même : il n’en perd pas son apanage qui le rend si singulier. Sa patte est toujours là, dans l’histoire comme dans le style, où, plus que l’expressionnisme des dessins de Keane, il rajoute à l’écran une palette aux couleurs rétro, à l’image du style pop des années 50.

Certes, le film n’a rien de renversant, un peu trop scolaire et prévisible dans son scénario (ce qui est malheureusement bien souvent le cas des biopics), mais il n’en est pas pour autant ennuyeux. Burton n’a clairement pas retrouvé sa magie des premiers temps, mais il offre un film honnête, à l’histoire touchante, presque vitale, porté d’une tendresse et d’une sensibilité qu’on lui reconnaît bien.

A propos Lise Mernier 11 Articles
Journaliste du Suricate Magazine