Batman Ninja, grand guerrier chauve-souris à travers le fleuve du temps

Batman Ninja

de Jumpei Mizusaki 

Animation, Action

Avec Kouichi Yamadera, Wataru Takagi, Rie Kugimiya

Sorti en DVD en mai 2018

Nous vous parlions il y a trois mois de Gotham by Gaslighttrentième film du DC Animated Universe qui risquait une incursion dans la catégorie des Elseworlds. Semblant décidé à persévérer dans cette voie, Warner Bros annonçait en octobre de l’année dernière la mise en chantier de Batman Ninja, un récit transposant le Chevalier Noir dans le Japon médiéval, à l’époque Sengoku. Cette période, s’étalant du milieu du XVe au XVIe siècle, fut marquée par de fortes turbulences sociales et des conflits militaires quasi incessants.

Tandis qu’il combat Gorilla Grodd et sa machine temporelle, Batman est transporté quatre-cent ans en arrière, au Japon Féodal. Dès son arrivée, il est attaqué par des samouraïs au service du Joker et devra s’échapper le temps de mesurer la situation. Dans sa fuite, il rencontrera Catwoman, elle aussi téléportée dans le passé. Celle-ci lui apprendra qu’elle et plusieurs ennemis de Batman sont présents au Japon depuis deux ans déjà et qu’ils se livrent une guerre sans merci pour le contrôle du territoire. S’il veut retrouver le présent, Batman devra récupérer la machine de Grodd et ainsi affronter ses ennemis pour rassembler tous les composants nécessaires au voyage dans le temps.

Prenant pour base un univers solidement établi en s’appuyant notamment sur le comics Batman : No Man’s Land (1999), Batman Ninja entreprend de rendre un large hommage à la culture japonaise sous différentes formes.

D’entrée on saluera un style graphique original et soigné, bien que celui-ci sera par moments alourdi par quelques saccades liées à une animation en ombrage de celluloïd. Ce style tiendra lieu de vent frais dans le microcosme de l’animation DC Comics, les précédents films étant tous réalisés sur base d’un même graphisme. Précisons néanmoins que Batman Ninja ne s’intègre pas dans le DC Universe Animated, ce qui offre une plus grande liberté et affranchit le film des nécessités graphiques inhérentes à une série en recherche d’homogénéité. Le statut de One Shot permet donc d’innover sur ce plan.

En parallèle à sa tentative de se démarquer des autres productions animées DC Comics, Batman Ninja fera également la part belle à la culture japonaise. Les premières images situées dans le Japon des samouraïs rappelleront ainsi certains films d’Akira Kurosawa ou de Kenji Mizoguchi. On appréciera ainsi les personnages réimaginés selon un certain prisme.

Mais outre l’hommage rendu au cinéma du Soleil Levant, cette nouvelle interprétation de l’univers de Batman se fera quasiment ethnographique, allant jusqu’à offrir à certains personnages une esthétique renvoyant à de grands pans de la culture japonaise. Avant tout, le principe visant à placer Batman en Asie est assez intéressant : aussi bien en Chine qu’au Japon, l’idéogramme signifiant « Félicité » et l’idéogramme signifiant « Chauve-souris » se prononcent de la même manière ; la chauve-souris est ainsi devenue synonyme de joie et de prospérité dans ces cultures. Batman, épitomé de justice et de probité est donc un symbole positif placé dans une culture qui voit les chiroptères d’un bon œil. Mais de façon très intéressante, Batman fait surtout écho à Ōgon Bat – ou Golden Bat –, l’un des premiers super-héros au monde, créé en 1931 par Suzuki Ichiro et Takeo Nagamatsu.

Dans cette logique japonisante, le plus frappant est l’esthétique donnée à certains antagonistes. Le Joker adopte ainsi des traits réellement cauchemardesques le rapprochant d’un Yōkai, un monstre surnaturel. Son visage blanc et ses lèvres rouges rappelleront alors Ao Nyōbō, un fantôme féminin aux allures de courtisane.

À son tour, le pingouin rappellera le Tengu, que le folklore présente comme un personnage à mi-chemin entre un grand oiseau monstrueux et un être entièrement anthropomorphe, souvent doté d’un visage rouge ou d’un nez anormalement grand. Quant à Gorilla Grodd, il se trouvera entre l’Oni – une sorte d’ogre des montagnes – et Sun Wukong, le célèbre roi-singe de la littérature chinoise – appelé Son Gokū au Japon.

De leur côté, Double-Face et Poison Ivy s’apparenteront à des divinités qui trouvent leur inspiration dans la mythologie hindouiste : les Asuras et les Yakshas. Ainsi, lors d’une bataille géante, l’armure de Double-Face fera écho à un Ashura, une divinité guerrière dotée de trois visages et de plusieurs bras. Dans la même optique, Poison Ivy s’apparente quant à elle à un Yasha, divinité protectrice des forêts généralement représentée sous forme féminine et parfois décrite comme usant de ses charmes sur les voyageurs pour ensuite les dévorer.

Batman Ninja va ainsi brasser quantité de références mythologiques pour prendre un ancrage dans l’imaginaire japonais. Mais ces références « anciennes » se verront également agrémentées de références tout à fait modernes, comme par exemple les Mecha – ces armures robotisées souvent aperçues dans les Power Rangers, Goldorak ou, plus récemment encore dans Pacific Rim .Si dans sa première partie, le film fera la part belle à un Japon traditionnel, la seconde puisera dès lors son inspiration dans la pop culture des XXe et XXIe siècles.

C’est justement là l’un des problèmes majeurs de ce film : cette volonté de brasser large donnera naissance à un long métrage relativement hétérogène. En fonction de ses centres d’intérêt, le spectateur pourra alors se désintéresser de l’intrigue à un moment donné et décrocher du film : celui qui trouve peu d’attrait dans le Japon Féodal et le monde des samouraïs pourrait ne pas entrer dans cette nouvelle production, tandis que celui que les combats de robots géants laissent de marbre pourrait décrocher en plein milieu du visionnage. Batman Ninja est par conséquent un film qu’il convient de regarder avec indulgence, non pas uniquement comme un divertissement mais également comme une présentation quasi-ethnographique du Japon. D’un point de vue purement cinématographique, tout le monde pourrait ne pas s’y retrouver et il faut donc pouvoir faire abstraction de certains pans de l’intrigue pour l’apprécier à sa juste valeur.

Enfin, on trouvera encore certains clins d’œil et subtilités comme une référence explicite au Bat-Manga de Jiro Kuwata lors du combat de Mechas, Bane en sumo, une tonsure en forme de chauve-souris ou encore une très amusante réinvention de la Batmobile à la fin du film. Ajoutons encore que le film s’inscrit dans une logique similaire à l’un de ses prédécesseurs, Batman Gotham Knight, produit en 2008 par une équipe d’artistes japonais !

En résumé, Batman Ninja est un bon film parcouru d’une quantité impressionnante de références modernes et anciennes mais qui, paradoxalement, s’essoufflera parfois à force de se surcharger sur ce plan, au point de risquer l’indigestion. S’il mérite sérieusement le détour, il doit être vu dans l’optique d’un hommage à la culture japonaise plus que comme un long métrage cohérent d’un bout à l’autre.