Anguilles démoniaques de Yû Takada

auteur : Yû Takada
édition : De Saxus
sortie : juin 2018
genre : thriller

Les amateurs de manga connaissent déjà Anguilles démoniaques et seront donc ici en terrain conquis. Komikku en a effectivement édité l’adaptation réussie et particulièrement fidèle qu’en ont tiré Yûsuke Ochiai et Yû Takada. Ce dernier est par ailleurs auteur du roman original que nous pouvons aujourd’hui découvrir grâce aux éditions De Saxus.

Le roman part d’un postulat classique. Afin de rembourser ses nombreuses dettes, Masaru, un homme étonnamment timide et émotif derrière une carrure imposante, se voit forcé d’intégrer une société aux activités douteuses. Yû Takada en profite pour dépeindre de manière sombre mais réaliste le fonctionnement d’une entreprise qui passe du recouvrement de dettes au réseau de prostitution lycéenne. Cette description n’est pas sans rappeler Tokyo Yamimushi de Yûki Honda (publié en France chez Panini), où, dans une moindre mesure, Ushijima, l’usurier de l’ombre, de Shôhei Manabe.

Anguilles démoniaques en vient cependant rapidement à s’attarder sur une mystérieuse cargaison que doit transporter Masaru. Sans savoir de quoi il en retourne, et sans poser de question, cela va sans dire. Là encore rien de bien nouveau, en apparence. En effet, c’est cet élément crucial qui va finalement offrir au roman les moyens nécessaires pour qu’il trouve sa voie. Le fait que le chargement soit en lien avec un élevage d’anguilles on ne peut plus suspect permet à Yû takada de générer un suspense qui va en s’intensifiant, malgré une intrigue qui prend parfois un peu trop son temps.  Cela se ressent d’autant plus qu’il est parfois difficile de se défaire d’une grande impression de prévisibilité à la lecture de certains passages. Du moins de prime abord.

Disons le clairement, l’auteur fait appel à de nombreux clichés. Une fois n’est pas coutume : ce sont ces mêmes clichés qui vont permettre au livre de trouver tout son sel. En les intégrant de manière volontairement appuyée à son récit, l’écrivain joue avec les conventions du genre, mais également avec la perception et les attentes du lecteur, qu’il retourne de fort belle manière. Anguilles démoniaques parvient ainsi in fine à s’extraire quelque peu des aspects glauques et horrifiques qu’il revêt de temps à autre pour développer une approche plus humaine. Cela lui apporte un degré d’intensité supplémentaire et lui confère  un niveau d’émotion inattendu.

Le style d’écriture laisse parfois place à des choix un peu étranges. Quelques répétitions et une ou deux tournures de phrases hasardeuses sont ainsi à dénombrer, sans que l’on puisse savoir si cela incombe à l’écrivain où aux traducteurs. Néanmoins, rien de bien grave, tant cela n’enlève rien de la force du roman. Au final, Anguilles démoniaques se révèle autant se focaliser sur l’éprouvante descente aux enfers de son personnage principal que sur la description poignante d’une certaine misère sociale et sur les fantasmes plus ou moins justifiés qu’elle génère. Le livre permet surtout à l’auteur de dresser les portraits généralement nuancés de manière bienvenue de personnages intrigants, parfois attachants et souvent monstrueux, que ce soit physiquement ou mentalement. Une belle découverte qui donne fortement envie d’en découvrir plus de la part de son auteur, déjà bien établi au Japon.

A propos Guillaume Limatola 126 Articles
Journaliste